« APRÈS LE RAP, J’IRAI FAIRE DU SURF »
Un homme descend le sentier côtier, une planche de surf sous le bras, avant d’atteindre la plage. Ses vêtements, sa serviette et ses disques délicatement posés sur le sable sont les effets personnels qui témoigneront de son passage sur Terre. Il trempe les pieds, goûte à ce paradis qu’il a attendu depuis si longtemps. Il se retourne une dernière fois. Le bruit des vagues vient frapper cette terre qu’il a si souvent foulée. Le sel de l’océan ravive ses plaies pas encore cicatrisées. Un pied sur terre, un pied dans l’eau. Il se redresse, avance, regarde l’horizon, jette sa planche à l’eau, et nage. Sans se retourner. Il disparaît progressivement au loin, rejoignant le gouffre orangé dans lequel se couche le soleil un soir de novembre.
Cover : Népal – Adios Bahamas (Lucas Matichard)
Népal nous a quitté, mais a laissé derrière lui un disque. Plus qu’un album, Adios Bahamas est une philosophie de vie. Népal prend la parole, nous montre la voie pour accorder son mode de vie au monde que l’on veut voir, sans céder à la facilité de s’accoutumer à un système où l’on n’est qu’un pion parmi d’autres. Il parvient à réfléchir à la condition de l’homme et comprend comment devenir acteur et non plus spectateur dans ce monde auquel nous appartenons.
QUELLE TRAJECTOIRE DE VIE POUR NEPAL ?
Pour Népal, il est nécessaire de déceler le réel du superficiel, afin d’identifier ce qui compte vraiment. Et pour cela, il faut d’abord commencer par savoir ce que nous combattons : l’ennemi. Seulement, l’ennemi n’est pas quelque chose de directement palpable ou désignable. Il se retrouve dans le système dans sa globalité. L’ennemi, c’est ce qui nous conditionne à un mode de vie qu’on n’a pas nécessairement choisi. L’ennemi nous pousse à nous éloigner de l’essentiel, en quête d’argent ou de succès. Et il concerne tous les acteurs de la société, à commencer par les rappeurs eux-mêmes, chez qui transformer l’art en machine à sous est souvent monnaie courante.
C’est pourquoi il faut ouvrir les yeux sur le monde dans lequel on vit, voir quels sont nos choix et quels sont les forces qui s’appliquent sur nous. Népal remet absolument tout en question, pour chercher le sens et la trajectoire qu’il veut donner à sa vie. Ça se résume par beaucoup d’interrogations qui, une fois posées, appellent à des réponses évidentes :
« Est-ce que ma vie se résume à générer cash ? (non) Est- ce que je vais subir le produit de mon éducation ? » (En face)
Trouver les réponses à ces questions et ne pas rentrer dans les cases qui lui sont prédestinées lui permet de progressivement se singulariser et d’entrevoir une faille dans cette matrice.
« Si j’vois une faille, j’fonce dedans, ce monde tournera rond seulement si je le prends à contre-sens » (Millionnaire)
Et foncer dans cette faille lui fait voir la vie sous un autre angle, rebattant toutes les cartes pour se rapprocher des plaisirs simples, de la sincérité envers soi-même. Népal parvient à déchiffrer le sens de la vie dans le sublime morceau « Trajectoire », à la fois très mélancolique, très sombre, appuyé par les voix féminines derrières le refrain, mais finalement profondément positif. L’anaphore « C’est quoi la vie si j’peux pas » dans le refrain donne la réponse sur ce que doit être la vie. Aimer ses gens. Elever ses sens. L’apprécier un peu.
UN DÉSIR D’ENVOL
Pour Népal, l’élévation spirituelle ne passe pas sans une certaine joie de vivre et une positivité. Le discours de Nassim Haramein à la fin du morceau Trajectoire est un moment charnière de l’album car on quitte une atmosphère pesante, nocturne et pleine de doutes pour aller vers quelque chose de meilleur, de plus léger, qui célèbre la vie. Népal a trouvé sa voie et peut avancer sereinement.
Il se ramène alors à des choses simples et parvient à tirer le positif de ce qu’il voit. Il est rempli de rêves et de volonté d’ailleurs. Cela se traduit par des morceaux et des prods beaucoup plus ouverts musicalement (Là-bas, Lemonade). Il laisse derrière lui l’acidité du monde dans lequel il vit et se tourne vers un idéal rafraîchissant et plein d’espoir.
Et à défaut de parvenir à s’échapper physiquement (avec la redescente sur Terre dans le clip de Là-bas), Népal affiche sa certitude d’atteindre spirituellement ce qu’il cherche, une liberté d’esprit et une simplicité de vie :
« Là-bas j’finirai par y aller » (Là-bas)
Népal fait une introspection sur son rapport à l’autre. Il exprime son besoin de solitude pour se différencier des autres, interdépendants et dont la compagnie est nocive. Il ne doit se laisser guider que par son cœur, car ce qu’il voit autour de lui est privatif de liberté.
« Puisque l’enfer, c’est les autres, pourquoi vouloir faire comme les autres ? » (Sundance)
On le ressent notamment dans les feats avec Sheldon, Doum’s et 3010, où il prend du plaisir à rapper avec ses proches et vit en toute simplicité. Entre millionnaire et toxicomane, il vante son train de vie en décalage avec le reste du monde. Il se moque allègrement de ceux qui se laissent gagner par le système, et sont esclaves de ce qu’ils pensent dominer.
« Vous faites la course mais y’a pas de ligne d’arrivée, plutôt que d’être de ceux qui ont le seum de vivre, j’vais rider jusqu’à finir inanimé » (Millionnaire)
C’est ce mode de vie qui lui permet d’atteindre le stade du chakra coronal, le plus haut des sept chakras, avec la figure du Daruma, symbole de chance et de prospérité dans la culture bouddhiste, chère à Népal. Il représente le dépassement corporel, l’équilibre entre le corps et l’esprit. Népal n’a pas cédé aux barrières qu’on lui impose. Il célèbre la liberté qu’il a trouvée et grâce à laquelle il ne peut qu’être serein :
« Hors des frontières de ton esprit, tu peux pas vivre dans un cauchemar » (Daruma)
L’élévation a bel et bien eu lieu pour Népal, qui dans l’introduction remonte à la surface en sortant la tête de l’eau et finalement parvient à s’envoler.
UNE MISE EN GARDE ET UN CHEMIN POUR SORTIR DE LA MATRICE
Bien qu’il réussisse à trouver son refuge spirituel et qu’il exprime son besoin de solitude et de ne s’entourer que des siens, Népal ouvre tout de même une porte de sortie à quiconque écoute sa musique et comprend les rouages de notre monde. Et une fois que l’on prend conscience de cette vérité, il n’est pas impossible de sortir de ces cases pour se construire librement :
« Mais l’jour où tu décides de sauter les barrières et de voler comme un esprit libre, tu sentiras même plus la pression » (En face)
Népal parle beaucoup des paradoxes qu’il observe, à commencer par le manque d’honnêteté des gens envers eux-mêmes et du décalage entre leurs convictions et leurs actions, qui empêche de s’élever face à ce que l’on combat intérieurement. Par ces paradoxes, il trace une route vers la liberté pour l’auditeur.
« Vois-tu ? J’ai arrêté d’essayer de comprendre ces gens qui reprochaient aux autres des erreurs qu’eux-mêmes commettent, à croire qu’ils vivent hors de leur corps, chasseurs de comètes, à s’abreuver de promesses parlent d’élévation mais restent collés comme des posters » (Trajectoire)
Il illustre l’enfermement et l’abrutissement que beaucoup subissent dans le morceau Sundance, un chef-d’œuvre de l’album, accompagné d’un clip qui montre la vie que Nekfeu aurait pu avoir s’il n’avait pas trouvé succès dans la musique. Une prod lente qui laisse à l’abandon, avec un visuel qui transpire la simplicité, la monotonie, mais pas pour autant la tristesse (avec le sourire de Nekfeu sur le dernier plan face à la télévision). Népal cherche à montrer ici que nombreux sont ceux qui auraient pu réaliser leurs rêves et vivre de leur passion comme Nekfeu l’a fait. Mais ils passent à côté de leur chance et n’arrivent pas à s’extirper ce ces bulles d’air.
« J’vais pas te dire que j’aurais pu le faire, j’y vais ou je la ferme » (Sundance)
Chacun peut pourtant apporter progressivement sa pierre à l’édifice. Il faut rester positif et ne pas se laisser abattre face au système qui se dresse contre nous.
« Te laisse pas désarmer, la réalité, tu la crées en partie, chaque action : un grain dans le sablier qui t’es imparti » (Trajectoire)
LE BRUIT PLUTOT QUE LE SCORE
A travers cet album, Népal prône l’envol spirituel et le rattachement à ses idéaux et ses proches pour affronter la brutalité du système. Pour ce premier et dernier album, Népal a su proposer un projet qui retrace à la fois l’univers nocturne, planant et pesant qu’on pouvait retrouver sur ses premiers EPs (444 nuits, 445e nuit, KKSHISENSE8) ; et à la fois une nouvelle énergie avec des morceaux beaucoup plus ouverts et ensoleillés sur lesquels on l’avait peu entendu ; malgré une dynamique chantée un peu redondante dans la deuxième partie de l’album qui dénote avec l’intensité des premiers titres.
L’album est, par sa cohérence, sa justesse, ses références et sa profondeur, somptueux. Un Népal qui veut se rapprocher de ce et ceux qu’il aime en tout simplicité. Il ne se perd pas dans un album trop long, reste concis et précis dans son discours. Sans contrainte ni concession, il se livre et nous propose la musique telle qu’il la conçoit. Il est à l’origine de toute la direction artistique, des concepts de ses clips, et a produit 8 des 12 morceaux de l’album.
C’est un projet avec beaucoup de choses, dont la compréhension nécessite plusieurs réécoutes. Il m’a fait penser à Ce monde est cruel de Vald sur certains passages, notamment avec la phrase :
« Faut changer les choses, si ce monde est cruel, c’est sûr qu’il y en a d’autres » (Rappel)
Népal est parvenu à atteindre le sien et, par la philosophie de vie qu’il présente, invite chacun faire de même, pour ne pas devenir « juste un humain bloqué dans la masse d’air ». Au sommet, il continue à chercher la beauté du geste avant tout. L’art pour l’art, sans prêter attention au reste :
« Si j’mets des switchs c’est pour le bruit, pas pour le score »
Repose en paix.
Écouter l’album « Adios Bahamas, » sur toutes les plateformes de streaming.