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« Freebase, Vol. 04 » : en voyage avec Kekra

Quatre ans après la pierre fondatrice « Freebase, Vol. 01 », Kekra revient avec le quatrième opus de ses mixtapes détonantes. Fort du buzz de son album « Vréalité », il n’est plus du tout un rappeur underground et doit donc assumer son nouveau statut. Alors, mission accomplie ?

L’intro du projet est claire. S’il semble se couper du monde, s’exilant au Japon pour enregistrer ses albums et ne réalisant (presque) jamais de featurings, Kekra garde un œil sur la France. Et plus particulièrement sur ce qui se dit sur lui. Ainsi, l’introduction de « Freebase, Vol. 04 » est une compilation de ce que certains journalistes ont pu dire sur l’artiste, en bien comme en mal d’ailleurs. Il adresse également une petite pique à Ateyaba (« le traînant sur quelques mètres, jusqu’à la loge et s’y enfermant »), alors qu’ils sont en conflit depuis quelques temps. Ce dernier n’a pas manqué de répondre, au travers de tweets acides postés dans la nuit de jeudi à vendredi, relançant ainsi l’embrouille entre les deux hommes. Mais concentrons-nous sur la musique. Là-dessus, c’est un sans faute.

Cover de « Freebase, Vol. 04 »

Kekra maitrise sont art sur le bout des doigts, il sait exactement où il va et fournit un projet d’une grande constance. À première vue, cette mixtape ne semble pas posséder de hit comme a pu l’être « Vréalité », mais ce n’est de toute manière pas ce que le rappeur de Courbevoie recherche. Il expliquait que la connexion avec Niska s’était faite bien avant la musique, ce qui montre la façon de fonctionner de Kekra. Toujours avec la même équipe, des personnes de confiance qu’il connait depuis des années. C’est donc logique qu’il n’ai pas invité cette fois d’autres poids lourds du rap français, simplement parce qu’il ne les connait pas assez. De toute manière, aucun morceau de « Freebase, Vol. 04 » n’est en-dessous des autres, et on ressort de l’écoute du projet réellement bluffés.

 

« Baby j’suis on fire, flow d’ailleurs »

Kekra montre un besoin de s’évader. Il enregistre depuis le Japon, et scande son amour à Dubaï dans le titre éponyme. Pourtant, on sent dans son écriture qu’il est et qu’il restera toujours attaché aux Hauts-de-Seine, où il a grandi. Loin de l’opulence financière, c’est dans le 92 qu’il a connu ses galères et qu’il a rencontré ses plus fidèles amis. Mais, même s’il est attaché à ses origines, il précise dans « Ailleurs » qu’il « faut pas que j’crève ici, encore moins qu’on m’enterre ici ». À sa façon, Kekra nous raconte une histoire déjà vue des centaines de fois. Le quotidien d’un bicraveur qui chercher à sortir du bloc à tout prix, et à s’enrichir assez pour mettre à l’abris sa famille et ses amis. Pourtant, si on a déjà entendu ça maintes et maintes fois, la manière dont il le raconte le rend absolument unique.

 

 

C’est là aussi la grande force de Kekra : raconter des histoires banales avec une telle science musicale qu’elles paraissent exceptionnelles. Sa voix déjà, déformée à l’extrême mais reconnaissable entre mille grâce à son accent, attire l’attention de l’auditeur. Les choix de prods. ensuite, vraiment diversifiés, mélange de sonorités électroniques et instrumentales, donnent une couleur toute particulière à cet album. Kekra s’est confronté aux apports de divers beatmakers de grand talent (Swav Beatz, Ant Chamberlain…) pour donner un résultat décapant. Le rappeur est d’ailleurs crédité comme co-producteur de l’ensemble des morceaux du projet. Rien n’est laissé au hasard.

 

Kekra, le conteur du rap français

Kekra accorde une importance primordiale à son univers graphique, et par ce biais il nous raconte une histoire. La pochette du projet, si elle peut sembler basique à première vue, est en fait une référence à la cover de « Freebase, Vol. 01 », la première mixtape concrète du rappeur. Sauf que si la première était dessinée, avec des tons très chauds, et rappelant vaguement la patte graphique des mangas, on se retrouve là face à une photo. On entre dans la réalité, le dessin-animé laisse place au concret. Sans sur-interpréter, on peut penser que ce n’est pas un hasard, et que l’artiste veut nous montrer qu’il est entré concrètement dans le (V)réel. Une grande importance est accordée aux clips aussi, comme l’illustre le petit bijou « P*tain de salaire » réalisé par Romain Chassaing, déjà vu plus de 2 millions de fois sur YouTube.

 

 

Pour autant, si Kekra nous emmène avec lui dans une réalité sombre et froide, il n’en reste pas moins un rêveur. Si l’image se veut rude, la musique est elle d’une grande douceur. Les prods. sont le plus souvent calmes, alternant avec des ponts instrumentaux très bienvenus, et elles mettent en lumière la voix auto-tunée de l’artiste. Comme il le dit dans « Ailleurs », « j’écris donc pas besoin de faire de dessin quand ça s’anime ». On a dans cette punchline un beau résumé de l’album. Il nous transporte dans l’univers futuriste et coloré de Kekra, et à la manière d’un anime, l’album n’a pas besoin de nous pour raconter son histoire. Il le fait très bien seul. De toute manière, même s’il les écoute, Kekra n’a pas le temps de s’attarder sur les critiques.

 

Des feats solides pour un album encore plus solide

C’est à croire que Niska a ouvert la voie. Avant « Vréalité », Kekra n’avait jamais collaboré avec d’autres artistes sur ses projets. Le seul « Freebase, Vol. 04 » compte deux featurings. Et force est de constater que le MC de Courbevoie n’est pas allé chercher les plus mauvais de l’équipe pour l’épauler. Il collabore avec le rappeur japonais KOHH dans le titre « Kohhkra », nous offrant un véritable duel de kickeurs. En appuyant ses rimes sur les voyelles, il répond au flow chirurgical du nippon. Ce dernier joue avec le beat, varie les flows et n’est tenu en respect que par le couplet furieux de Kekra. Le titre final, « Putain de salaire [924 Remix] », en featuring avec Turner & Mustang, est une réelle claque. Les deux couplets proposés par les deux rappeurs – encore méconnus du grand public – sont excellents, et Kekra ajoute son refrain spatial à ce qui s’avère être l’un des meilleurs titres de la mixtape.

 

 

Celui qui a, selon ses dires, toujours considéré le rap comme un moyen comme un autre de faire de l’argent semble bien s’être pris à son propre jeu. Il fournit avec « Freebase, Vol. 04 » un projet d’une rare justesse, équilibré de bout en bout, que seul un amoureux de musique – et de rap – peut concevoir. Kekra n’est pas dupe, il sait que le plus important reste de faire de l’argent, et il le répète souvent. Alors qu’il peut aujourd’hui vivre de sa musique, il tient à se souvenir d’un passé plus galère, comme pour donner un espoir à ceux qui l’écoutent. Kekra semble au sommet de son art, il rend une copie quasi-parfaite et s’attire les louanges – méritées – des auditeurs. Pour quelqu’un qui dit qu’il est « là pour le gain, gain, gain, frérot pas pour le buzz », c’est un sacré tour de force.

 

Dorian Lacour

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