Bakari est un artiste unique. Avec « Sur écoute : Saison 3 », sorti le 22 octobre, il conclut une trilogie tristement joyeuse, aux airs de carte de visite. Si la forme est variable, le fond de sa musique reste terriblement hip-hop. Celui qui se place comme un grand espoir du rap belge nous a accordé une interview. L’occasion de discuter de ses influences, de la porosité entre pop et rap, mais aussi de sa vision de la musique.
Midi/Minuit : Salut Bakari. Avant tout, parlons un peu de ta carrière, qui a pris un coup d’accélérateur il y a quelques mois et qui t’a permis d’obtenir assez vite la reconnaissance des autres rappeurs mais aussi des médias. Comment ça se passe, dans ta vie, depuis « N’Da Blocka » ?
Bakari : Artistiquement, je vois le changement. J’ai fait beaucoup de belles rencontres. Au niveau de ma vie de tous les jours par contre, ça a pas changé. Je suis toujours à Liège, avec les mêmes personnes. Je vois pas beaucoup de changements dans mon quotidien.
C’est vraiment dans le monde de la musique que les choses ont changé pour moi. J’ai pu avoir un peu de reconnaissance, rencontrer des belles personnes, aller dans des endroits où je ne m’imaginais pas mettre les pieds avant. C’est beaucoup plus simple, des gens me sollicitent maintenant, des gens qui avant ne me calculaient pas. Ça me fait rire en vrai.
Cover : Bakari – « Sur écoute : Saison 3 »
Midi/Minuit : Pour parler de ta musique, je trouve que tu as affirmé ton style et ta patte, en proposant une formule hybride, qui n’hésite pas à s’écarter par moments du rap. Comment est-ce-que tu définirais ta proposition artistique, actuellement ?
Bakari : Franchement, pour moi je suis juste un rappeur. C’est vrai que j’ai beaucoup d’influences qui viennent de styles différents du rap. J’écoute même plus beaucoup de rap en vérité. Mais ma musique, ça reste du rap, j’assume juste d’ajouter des nuances. Je propose des choses qui peuvent ne pas ressembler à du rap dans la forme, mais dans le fond je garde les codes, les sujets.
Midi/Minuit : Pour parler de tes influences, tu as à ma connaissance, un très gros bagage musical. De Koffi Olomide, à Kery James, en passant par Booba et 50 Cent, tu as été baigné dans des styles musicaux assez variés. En quoi est-ce-que ces artistes, et d’autres d’ailleurs, ont eu un impact sur ton rap ?
Bakari : Je pense qu’aucun rappeur n’écoute que du rap, c’est pas possible pour moi. Par contre, très peu osent appliquer ce qu’ils écoutent, et je fais partie de ceux-là. En mode, je vais ramener ces codes qui ne sont pas ceux du rap dans ma musique, et je vais essayer de créer un univers cohérent avec toutes ces influences.
Je pense que si tu veux durer, créer un truc différent, il faut pas tourner en rond. Je pense que tu peux rien créer de nouveau aujourd’hui, tu peux juste créer un nouveau son à partir de ce qui a déjà été fait avant.
Midi/Minuit : C’est plutôt pessimiste comme vision de la musique ça, non ?
Bakari : Non, je pense pas que ce soit pessimiste. Je vois plutôt ça comme un hommage, comme une manière de perpétuer quelque chose et de briser les barrières entre différentes styles musicaux. Je trouve que c’est bien justement, et je pense que c’est pour ça que le rap est en place depuis des décennies, et que c’est pas prêt de bouger.
C’est une des seules musiques qui arrive à se nourrir d’autres styles musicaux et à toujours rester cohérente. Par exemple, quand Robin Williams essaye de rapper, c’est bizarre, mais Booba qui fait un « Validé » ça passe carrément.
Midi/Minuit : Récemment, tu as collaboré avec pas mal d’artistes, qui sont eux aussi chacun dans un registre bien à eux. On pense évidemment à Isha, mais il y a aussi eu Sofiane Pamart ou Jäde pour ne citer qu’eux. C’est important, pour toi, à ce stade de ta carrière, d’aller boxer avec des artistes si différents ?
Bakari : Je pense que pour que les gens puissent facilement m’identifier, c’est important qu’ils me voient dans plusieurs registres, pour comprendre que je suis à l’aise dans plusieurs zones. Si tu prends un peu de Isha, un peu de Jäde, un peu de Sofiane Pamart, c’est ça que je fais en fait.
Ça reste « urbain », ce mot de merde qu’ils ont inventé y a quelques années, mais ça reste « urbain » comme ils aiment bien dire. Ces trois artistes n’ont pas grand chose à voir, mais ils ont le même ADN, les mêmes souches. C’est important que les gens voient ce genre de collaborations, pour se dire que c’est possible. Le public a encore trop tendance à enfermer les artistes dans une case.
Midi/Minuit : En parlant d’artistes qui brisent les cases, je pense à Stromae, qui est belge comme toi, et qui est de retour après une longue absence. Est-ce-qu’à un moment il a fait partie de tes influences ?
Bakari : Mais bien sûr que oui. Tout le monde a écouté Stromae, même les mecs de la rue l’ont écouté. Au moment du projet « Racine carrée » tout le monde écoutait. De savoir qu’avant il était rappeur, quand j’ai écouté ses vieux sons, ça m’a surpris et j’étais choqué de la transition.
En vrai, je comprenais pas pourquoi j’accrochais, parce que c’était un style musical bizarre, que j’aime pas normalement. Mais en fait c’est l’écriture, quand tu écoutes ce gars, ça se voit qu’il a rappé, il a pas l’écriture d’un chanteur de variété. En fait c’était un bête de rappeur Stromae, et il fait partie de ceux qui nous ont montré qu’on pouvait proposer autre chose en venant du rap. Après, j’estime que ce n’est plus un rappeur actuellement, mais son évolution est hyper intéressante à regarder.
Midi/Minuit : On voit cette volonté de varier tes collaborations aussi sur la trilogie « Sur écoute », où tu prends en plus le parti d’inviter des artistes encore relativement méconnus du grand public (Rojens, Mona, Tawsen). Comment les as-tu choisis ?
Bakari : Ça s’est fait réellement au feeling. Tawsen, c’est vraiment une bonne personne, il m’a approché sur les réseaux pour me donner de la force, et au bout de deux ou trois mois on a parlé de faire un morceau ensemble. On s’est posés au studio ensemble, et c’était vraiment un échange.
Ça dépend de la personne que j’ai en face de moi, mais généralement ça se passe très bien au studio quand j’invite des artistes. Mona et Rojens ce sont des gens de ma ville, de Liège, que je côtoie dans la vie de tous les jours, donc c’est pas pareil encore. Nous on est comme ça, on a l’esprit de famille.
Midi/Minuit : Pour parler plus en détails de « Sur écoute : Saison 3 », qui sort donc le 22 octobre. Avant toute chose, pourquoi avoir choisi de livrer le projet en trois parties, que tu as toi-même qualifié de saisons ?
Bakari : C’est le fruit d’une réflexion avec mon équipe et mon manager. On a estimé qu’il n’y avait pas encore assez d’attente autour de moi pour envoyer un album tout de suite. Un format 6 titres, c’est facile à digérer pour l’auditeur, et ça permet de créer de l’attente avant de proposer un projet encore plus solide. La musique que je fais, elle n’est pas non plus évidente à saisir, donc je me dis qu’il faut qu’on prenne notre temps.
Midi/Minuit : Tu tiens, je trouve, à ancrer ton rap dans une réalité parfois amère. Mais d’un autre côté, la mélodie de ta musique est primordiale, et tu envoies souvent des morceaux au ton léger. Comment tu expliquerais cette dichotomie ?
Bakari : C’est naturel chez moi, parce que c’est comme ça que je suis dans la vraie vie. Je souris tout le temps et je déconne tout le temps même si dans ma tête c’est le bordel. Dans mes sons c’est la même chose. En façade c’est enjoué, c’est joyeux, ça rigole, mais au fond c’est sérieux, triste et même pesant. Tous les jours c’est la même chose, mais tranquille, faut que ça reste joyeux et accessible.
J’ai pas envie que ma musique soit triste. Un morceau comme « Tout laisser » [dans « Sur écoute : Saison 2 » – NDLR], quand on l’a terminé j’ai tout de suite dit à mon équipe que les daronnes aux mariages allaient danser sur des trucs de bicrave. On parlait de Stromae tout à l’heure, je te cache pas que c’est aussi lui qui m’a incité à faire des morceaux comme ça. « Papaoutai », c’est un morceau qui m’a troublé, je savais pas si je devais danser ou pleurer. Ça ressemble à la vie en fait, c’est pas tout blanc ou tout noir. C’est ça aussi que je veux proposer.
Midi/Minuit : Dans des morceaux comme « Ibiza » ou « Commando », il y a une influence pop très présente. Tu t’imagines faire un album encore plus pop, comme peuvent le faire Gims, Soprano ou Soolking par exemple, à l’avenir ?
Bakari : Non, je pense pas être prêt pour ça. Il faut débloquer des chakras dans ton crâne pour faire ça, et j’en suis pas encore à ce stade-là. Un titre comme « Clown » de Soprano par exemple, je me vois très mal faire ça. C’est même des morceaux que je n’aime pas, ça me parle pas trop.
Moi, j’ajoute des nuances à un univers qui est déjà le mien. Je veux pas aller copier celui d’un autre, mon ADN doit rester le même : toujours le hip-hop. C’est cette musique qui m’a accompagné, des morceaux de la Mafia K’1 Fry, de Booba, de Salif, pas autre chose.
Midi/Minuit : La trilogie « Sur écoute », pour toi, qu’est-ce-qu’elle représente ?
Bakari : C’est une carte de visite vraiment. Je pense pas être arrivé au maximum de mes capacités, je commence à peine à être à l’aise dans mon truc. Je peux encore faire mieux, j’en suis convaincu. J’ai encore rien affirmé, il faut que le public sache que je suis là.
On y est pas encore, parce que comme tu disais au début, pour l’instant les grosses validations que j’ai eues c’était des gens de la musique, du milieu. Je pense que le public ne s’est pas encore bien pris la baffe. « Sur écoute » ça me permet de dire que je suis là, et que du très lourd arrive. C’est juste le début pour moi.
Midi/Minuit : « Sur écoute : Saison 3 » est donc disponible depuis le 22 octobre. Il conclue la trilogie qui t’a servie de carte de visite, comme tu l’as dit à l’instant. C’est quoi la suite pour toi ?
Bakari : Il faut garder un œil sur moi, parce qu’une fois que je serai là, je serai là. Même ceux qui veulent pas me calculer seront obligés. Je suis en train de bosser, on prépare pas mal de trucs. On est en studio, on créé un nouvel univers. Commencez par écouter « Sur écoute », si vous avez kiffé hésitez pas à me suivre, parce que même si vous voulez pas, un jour vous serez obligés.
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