Avec « Commission rogatoire », Niaks démontre l’étendue de sa palette artistique et son amour du rap « pur et dur » comme il le dit lui-même. Il raconte sa vie, ses regrets, sa rue, sans jamais glorifier quoique ce soit. Découpeur hors pairs, aussi à l’aise en drill qu’en boom bap, il dispose d’une palette rap impressionnante, alors même qu’il n’est pas encore au maximum de ses capacités. La prochaine étoile du rap français se trouve peut-être du côté de Mantes-la-Jolie, on vous aura prévenu.
Midi/Minuit : Salut Niaks. Ton premier projet « Commission rogatoire » sort le 16 juillet. Comment tu te sens, quelques jours avant sa sortie ?
Niaks : Je suis pas stressé, je suis un peu pressé de faire découvrir le projet, mais y a pas d’angoisse, pas de stress. J’ai juste hâte de faire écouter l’EP au grand public.
Midi/Minuit : Il a quelle place pour toi, ce projet, dans ta carrière et dans ta vie ?
Niaks : C’est un gros projet sérieux, ça fait un peu plus d’un an qu’on s’y est remis avec Bylka Prod. C’est mon premier projet, j’espère que ce ne sera pas le dernier. « Commission rogatoire » a pris une bonne partie de mon temps, cette année et dans ma vie. Je me suis beaucoup investi dans la musique, et cet EP m’a pris du temps, mais ce n’est pas pour rien, je n’ai pas perdu de temps. J’ai pris du plaisir à travailler, et j’espère que le travail va payer.
Cover : Niaks – « Commission rogatoire »
Midi/Minuit : Justement, il aurait dû sortir en début d’année mais tu as décidé de le reporter. Pourquoi avoir fait ça ?
Niaks : Il y a deux raisons. Déjà la situation sanitaire, qui était pas géniale en début d’année, et qui nous a bloqué. Ensuite, j’ai repoussé le projet parce que je voulais faire encore mieux, je voulais proposer un meilleur produit au public. C’est pour ça que j’ai préféré retravailler dessus. La première version du projet, j’en étais satisfait, mais pas assez. Il manquait quelques sons un peu hard, comme « CJD » par exemple.
Midi/Minuit : Je voudrais, avant de commencer à parler du projet, que tu m’expliques le terme « bonvieu ». Ça vient d’où ?
Niaks : Le bonvieu c’est une façon d’appeler quelqu’un avec respect. Avant on disait l’ancien, maintenant on dit plutôt le bonvieu, et ça marche pour les jeunes aussi. À Mantes-la-Jolie tout le monde s’appelait comme ça, enfin les gens qui avaient de l’estime les uns pour les autres. Quand j’ai commencé le rap c’est venu automatiquement, au quartier ça m’appelait l’bonvieu et j’ai trouvé ça bien de le garder.
C’est typique de Mantes-la-Jolie, c’est même pas une expression des Yvelines, c’est typique d’ici. Humblement, j’essaye de populariser ce mot-là. Il y a plein de mots ou d’expressions ici qui ont influencé Paris. Comme on dit, la banlieue influence Paname, et Paname influence le monde.
Midi/Minuit : Du coup tu seras sur « Grand Paris 3 », c’est ce que t’essaye de me dire ?
Niaks : Ah non, non, non pas du tout ! Pourquoi pas si on me fait la proposition, mais c’est pas encore prévu. Par contre j’ai beaucoup aimé cette phrase là, parce que c’est réel.
Midi/Minuit : Il y a une thématique qui revient souvent chez toi, c’est la rue. Pourtant, quand tu en parles, tu ne la rends pas belle. C’est important, pour toi, de ne pas fantasmer la rue dans ton rap ?
Niaks : On la glorifie pas la rue, c’est logique. Moi j’en ai payé les frais, j’en ai vu beaucoup payer les frais. On tire des leçons de la rue, mais on en ressort rien de bien. Comme dit Kery James, c’est la mort ou la prison. C’est pas une fierté d’être dans la rue et de faire ses trucs de la rue. Certains le font par nécessité, et dans ce cas-là c’est compréhensible, mais si tu le fais pour la gloire t’as rien compris et tu vas juste gâcher ta vie pour rien.
Midi/Minuit : Dans « Waingro », tu ajoutes, « fais pas comme ton rappeur ». Tu regrettes donc que certains rappeurs glorifient la rue ?
Niaks : Bien sûr, et c’est surtout la jeunesse, les nouveaux rappeurs. Les anciens avaient un peu plus d’éthique, de morale derrière. Les petits de maintenant c’est des produits de la société, ils ont été pervertis par la société. Qu’est-ce-qu’ils vont m’apprendre de la vie ? Ils connaissent rien. La seule chose qu’ils puissent dire c’est parler d’armes et de drogue, alors qu’ils connaissent pas.
Midi/Minuit : Les interludes ont un rôle important dans « Commission rogatoire ». Elles racontent une histoire en toile de fond de ton projet. Comment est-ce-que tu as pensé à ça ?
Niaks : J’ai pas cherché loin. Les anciens quand ils écrivaient des livres ou qu’ils racontaient des choses ils s’inspiraient de faits réels. J’ai fait pareil, je me suis inspiré de ma vie en la scénarisant. Le projet en lui-même s’appelle « Commission rogatoire » parce qu’un an avant mon incarceration j’étais sous commission rogatoire. J’ai été surveillé pendant un an. J’ai préféré parler de tout ce qu’il s’est passé dans ma vie avant d’aller en prison aussi, dans ce projet. Je tenais à raconter un peu mon histoire.
Midi/Minuit : Je voulais revenir sur la série de freestyles qui t’a mis en lumière, les « Drilluminati ». C’était quoi ton ambition ?
Niaks : Mon ambition c’était de prouver au public que je ne suis pas un rappeur qui fait uniquement du son à l’ancienne. C’était un peu une carte de visite, comme mon projet, pour montrer à tout le monde que je suis un artiste polyvalent, ou du moins que j’essaye de l’être. J’ai entendu que la drill devenait à la mode avec Pop Smoke et tout, on m’a proposé d’en faire en me disant que je pourrais faire du sale, alors j’ai accepté direct.
J’aime bien le délire et les prods dans la drill, mais ce que j’aimais pas c’est que tout le monde là-dedans rappait pareil à peu près. Du coup, j’ai fait ma propre drill, qui ne ressemble pas à ce que les autres peuvent faire.
Midi/Minuit : Tu as déjà été confronté à la censure, avec un morceau comme « Zineb El Rhazoui ». Comment est-ce-que tu l’as vécu ?
Niaks : En fait ça ne confirmait que ce que je pensais : la liberté d’expression n’existe pas réellement en France. C’est comme l’abolition de l’esclavage qui n’a été faite que 100 ans après la Déclaration des droits de l’homme. C’était la Déclaration des droits de l’homme blanc, faut le préciser. C’est toujours comme ça, la liberté d’expression c’est pour certaines personnes.
Contrairement à Zineb El Rhazoui je n’incite pas à la haine, je n’incite pas au meurtre, je dis pas qu’il faut tirer sur la police. Je l’ai juste insultée, avec un message derrière qui fait comprendre que toute haine engendre la haine.
Derrière chaque bavure policière il y a des êtres humains, des personnes qui peuvent craquer et commettre l’irréparable. Ça marche dans les deux cas, un policier peut faire une connerie et un mec dehors peut faire une connerie. J’essaye de faire passer l’idée qu’il ne faut jamais, en aucun cas, abuser de son pouvoir.
La seule chose dans cette chanson qui est condamnable c’est des insultes, mais ce n’est pas une incitation à la haine ou quoi, c’est juste des insultes. Par contre, elle, elle a dit certaines choses pour lesquelles elle n’a pas été condamnée, donc si moi on me condamne, ce n’est pas normal.
Midi/Minuit : Et cette censure ne t’a pas démotivé, en plein lancement de ta carrière ?
Niaks : Non au contraire, ça m’a donné de la force ! Tranquille, c’est pas grave, au moins mon message est passé. Dans tous les cas je suis quelqu’un qui dénonce, si par la suite il y a un autre événement similaire j’hésiterais pas à faire une musique pour en parler. Peut-être même que je ferais une musique qui s’appelle « Éric Zemmour », qui sait. En tout cas je ne lâcherai pas, je serai toujours dans cette optique-là.
Midi/Minuit : À l’heure qu’il est, comment est-ce-que tu te définirais en tant que rappeur ?
Niaks : Je dirais que je suis un rappeur authentique et réel. Mon travail ne sera jamais bâclé parce que je respecte mon travail, le label dans lequel je suis. On a que le fruit de nos efforts.
Midi/Minuit : Tu viens de Mantes-la-Jolie, qu’Expression Direkt a mis en lumière mais qui peine depuis a avoir un nouveau porte-étendard…
Niaks : En vrai y a eu Expression Direkt et VF Gang. Ils n’ont pas eu le même buzz mais on en a quand même entendu parler, grâce à Alpha 5.20 qui donnait de la force, La Fouine aussi un petit peu. Mais depuis c’est vrai qu’il y a pas eu de lumière à Mantes. Ça a toujours été une ville qui donne de la force et de la street crédibilité à des rappeurs. Ils viennent, ils font leurs clips et on leur donne de la force, alors qu’ils n’ont rien à voir avec la ville.
Pourquoi quand on a un gars chaud ici on ne le lui donne pas autant de force ? Les mentalités ont un peu changé et les gens commencent à donner de la force aux gars d’ici maintenant.
Midi/Minuit : Tu te verrais reprendre le flambeau toi ? Remettre ta ville sur la carte ?
Niaks : Franchement, je te parle honnêtement, si j’ai repris le micro c’est pour ça. J’ai envie que dans le 78 ce soit moi le rappeur incontournable, et de remettre Mantes-la-Jolie sur la carte, bien sûr. C’est l’ego qui parle là, mais voilà.
Midi/Minuit : Pour revenir à l’album, même si tu rappes une réalité crue tu y mets une douceur. Je pense au morceau « Peu comme nous » qui a une ambiance assez légère malgré un texte triste. Comment tu expliquerais ça ?
Niaks : Ça ressemble un petit peu à du cloud tu vois, et le cloud c’est PNL. Cette instru je l’ai faite chez Rednose et Yann Dakta, c’est pour ça qu’elle a cette ambiance. Comme je te disais, je voulais montrer ma polyvalence. La prod était méchante, je l’ai écoutée et j’ai gratté mon texte sur place. Comme on dit, il faut piquer et après tu caresses, si tu ne fais que piquer les gens te voient juste comme un kickeur et ils vont plus t’écouter.
Je vais faire mon maximum par la suite pour montrer tout ce que je peux faire, tout en gardant une majorité de sons qui sont à mon image, c’est-à-dire du rap pur et dur.
Midi/Minuit : Je pense que tu es capable d’étendre encore plus ton rap justement, d’aller vers un style plus pop. Tu penses t’y mettre à l’avenir, ou tu veux rester fidèle au « rap pur et dur » comme tu le dis ?
Niaks : Je suis pas au maximum de ce que je peux faire. Pour l’instant, je veux toujours essayer d’innover et de proposer quelque chose qui peut plaire à tout le monde. L’idée c’est d’élargir mon public, et c’est en faisant ces choses-là que ça se fera. Ceci dit, il faut pas oublier l’optique dans laquelle je suis, c’est-à-dire le kickage pur et dur, ça je ne l’oublierai jamais.
Midi/Minuit : L’histoire de l’EP se conclue avec le morceau « Dounia ». C’est ça l’idée au final, que si tu restes dans la rue, ça se terminera forcément mal pour toi ?
Niaks : Bien sûr, on échappe pas à la fatalité. On sait comment ça se passe dehors, on l’a vu, et c’est pour ça qu’on essaye de se réinsérer autrement, par la musique, le commerce… Y a pas que les braquos et la drogue. Aucune cité n’a de barreaux comme disait Booba. Ça sert à rien de se victimiser.
Tout ce qui m’arrive actuellement, c’est sorti de ma tête, et c’est en train de payer petit à petit, l’épicerie comme la musique. Mon épicerie j’ai commencé avec un employé, puis deux, maintenant j’en ai sept, et Incha’Allah j’en aurais encore plus.
Midi/Minuit : Pour parler plus généralement, on comprend dans l’album, et tu le dis, que tu ne te considères pas comme un rappeur. Tu te considères comme quoi alors ?
Niaks : Comme un débrouillard, un entrepreneur, un mec qui veut s’en sortir, qui a la dalle et qui est passionné de musique. C’est comme si un ancien braqueur qui a grandi là-dedans avait un don pour le football. Entre ses conneries il fait des matchs et il réussit à percer.
C’est déjà arrivé en plus, y a des gars qui sont sortis de la rue grâce au foot. Y en a aussi qui ont gâché leur carrière à cause de la rue, et moi je veux pas qu’elle me gâche tout. Ça a déjà gâché assez de choses, j’ai perdu beaucoup d’amis et de frérots, c’est pour ça qu’on la glorifie pas la rue. On glorifie que Dieu, et on souhaite la réussite à tout le monde.
Midi/Minuit : Le rap et la musique en général, est-ce-que ça t’apaise ?
Niaks : Oui, ça apaise, ça passe le temps, ça fait aussi réfléchir. C’est pour ça que la musique c’est quelque chose dans lequel il faut pas jouer. Il y a beaucoup de monde qui nous écoute, des enfants, des personnes fragiles mentalement, et par ma musique je peux faire dériver ces personnes comme je peux les « guider » Kery James et Rohff auparavant c’étaient les grands frères spirituels de certaines personnes. De notre génération, il y a peu de rappeurs comme ça, alors que c’est important.
Midi/Minuit : En terme de musique, quelles sont tes influences ? Et qu’est-ce-que tu écoutes en ce moment ?
Niaks : Je suis vraiment à l’ancienne, j’écoute beaucoup de Rohff, Booba, Salif, la Mafia K’1 Fry, Rim’K. Actuellement j’écoute un peu de tout, j’écoute beaucoup de rap hollandais, j’aime bien leurs flows, l’impact de leurs mots. Même si je les comprends pas toujours, je sais que c’est quelque chose de fort qu’ils disent, et ça se confirme quand je vais vérifier sur Google Traduction.
En vrai j’écoute pas que du rap hardcore, mais essentiellement c’est ça. C’est ma couleur, et je privilégie toujours les artistes authentiques et crédibles, ceux qui ont une bonne mentalité dans leurs messages et leurs textes.
Midi/Minuit : C’est le rap que tu essayes de proposer du coup ?
Niaks : C’est le rap que j’essaye de proposer oui, parce que c’est automatique pour moi, c’est ma façon d’être. Quand j’écris un texte, je deviens pas quelqu’un d’autre, je suis le même dehors et en studio. C’est très important pour moi.
Midi/Minuit : Pour conclure, comment est-ce-que tu donnerais envie à nos lecteurs d’écouter « Commission rogatoire » ?
Niaks : Si c’est un mec qui se cherche, qu’il écoute. Si c’est un mec qui entre dans la période où il fait ses conneries, qu’il se cherche encore un peu, écoute. Comme ça tu sauras la suite, ce qui t’attend si tu continues tes bêtises. Si c’est quelqu’un qui a la tête sur les épaules et qui a déjà fait des trucs, qu’il aime la crédibilité, l’authenticité, les messages positifs et le rap engagé, il va respecter le travail que j’ai fourni.
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