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Maes en terrain conquis dans « Réelle vie 3.0 »

Maes - « Réelle vie 3.0 »

Maes - « Réelle vie 3.0 »

Le 26 novembre, Maes a dévoilé « Réelle vie 3.0 », le troisième volume de ses mixtapes à succès. En s’appuyant sur ses forces, et en s’entourant de noms ronflants, tant au niveau des beatmakers que des featurings, le rappeur de Sevran délivre un projet conçu pour marcher. Comme souvent avec lui, les prises de risques sont calculées, et le résultat est d’une redoutable efficacité. 

Une mixtape de Maes, c’est un peu comme un film de mafia des années 70-80. Pas foncièrement révolutionnaire, c’est une ambiance unique et reconnaissable entre mille qui est offerte à l’auditeur. Les codes du genre sont maîtrisés à la perfection, et le Sevranais se promène sur les prods comme Brian de Palma derrière sa caméra.

Cover : Maes – « Réelle vie 3.0 » (© Panamaera)

Il nous expose un quotidien qu’on suppose être – ou du moins avoir été – le sien, sans détour, et fait étalage de toute sa palette technique, pour des morceaux redoutablement efficaces. La toute première punchline de « Réelle vie 3.0 » est assez évocatrice de ce que propose l’artiste : « C’qui sort du canon, c’est pas des confettis. »

D’un côté, Maes excelle dans les morceaux durs, où il découpe le prod au scalpel, comme « Profesor », « Argent sal » ou « De Niro ». D’un autre côté, il sait aussi parfaitement gérer les confettis, avec des titres chauds et ouverts, comme « Sachet », « Local » ou « Le maire ».

On se retrouve donc avec une mixtape à deux faces, l’une ancrée au quotidien sombre et morose de Sevran, l’autre qui tourne les yeux vers les plages de sable blanc et le soleil de l’été indien. Force est de constater que les deux univers se marient à merveille, et la longue expérience accumulée par Maes fait que ça marche terriblement bien. 

À cœur semi-ouvert

Le récit de Maes se fait à mi-chemin entre fiction et réalité. Son rapport à la mort est très présent tout au long de la mixtape, on sent une réelle crainte de la part de l’artiste, qui n’a peut-être pas enterré les démons de sa vie d’avant. Il expliquait bien cette peur constante dans une interview accordée à Clique.

Si aujourd’hui la musique lui a certainement permis de se mettre à l’abris avec ses proches, il est difficile d’oublier les années de galère, où la faucheuse n’était jamais loin. Cela se ressent dans le rap de Maes, et dans des morceaux oppressants comme le superbe « Hypocrite », en featuring avec YNS, ou « T Max 560 » – la « suite » du génial « T Max 530 » (sur « Réelle vie 2.0 », sorti en 2018) qui caractérisait déjà bien cette insécurité et cette tension omniprésentes.

Au-delà de la question de la mort, Maes s’ouvre tout en pudeur dans le morceau « De Niro ». Il parle, sans jamais trop en dire, de sa famille, de sa vision du rap – où il y aurait « 80% d’imposteurs » -, de sa vie d’avant, de son rapport à la célébrité, de l’argent qui en a découlé, et des problèmes inhérents à cette nouvelle vie. Sur une prod pleine de testostérone signée Geo On the Track, le Sevranais livre là un de ses morceaux les plus touchants.

En imposant une pression permanente, qui n’explose jamais mais qui ne fait que monter petit à petit, Maes peut toucher au cœur même les auditeurs les plus imperméables. 

Une mixtape très métagorique

Maes, c’est aussi l’art de la punchline. Le morceau « Özil » co-produit par par Flem et Sofiane Pamart, en est un bel exemple. Le rappeur déroule son flow tranchant, en envoyant des images hyper fortes : « J’suis au nord de l’Afrique sur un grizzly » ; « Après la pluie, c’est pas le beau temps, c’est l’enterrement » ; « La mère vient du bled, le père vient du bled, la coke viеnt des Antilles »…

L’école de Booba, maitre du « métagore », pour reprendre les mots de Thomas Ravier, se ressent beaucoup dans l’écriture de Maes. Peu de mots, beaucoup de sens, voilà le secret. Et c’est plus qu’efficace. 

Pour parler de Booba justement, il est invité sur « Platine o Plomo ». Outre le jeu de mot, entre l’expression popularisée par le cartel de Medellin et le disque de platine dont Maes est un habitué, ce morceau est assez déroutant – dans le bon sens du terme. On aurait pu s’attendre à des sonorités douces, synonymes de succès instantané (cf. « Madrina », « Blanche » et « VVV », les trois autres collaborations entre les deux artistes), mais il n’en est rien.

Nous sommes là face à un découpage en règle de la prod signée Bersa. Au couplet millimétré du Duc succède un refrain rageur et un couplet tranchant, backé avec hargne par Maes. Résultat : un titre sans concession, aussi détonant que surprenant. 

Entre ombre et lumière

La chape de plomb qui recouvre la moitié des morceaux de « Réelle vie 3.0 » finit évidemment par se briser. Oboy, qui est réellement devenu un incontournable dans le paysage du rap français ces derniers mois, est invité sur « Le maire ». Ici, c’est Maes qui se rend sur le terrain de son invité.

Noxious envoie un beat club dont il a le secret, sur lequel les deux rappeurs peuvent s’écharper. Oboy se ballade sur la prod, en envoyant un couplet (trop) court mais (très) efficace. Maes tient la comparaison, même si on le sent peut-être un peu moins à l’aise que d’habitude. La topline du refrain n’est peut-être pas assez fracassante pour que le morceau devienne un énorme banger – ce qu’il mériterait d’être – mais la connexion fait en tout cas très plaisir à entendre. 

Zed et Tiakola ramènent leur science du hit dans le morceau « Mardi gras », certainement l’un des plus dansants de la mixtape. Les trois rappeurs se mélangent sans aucun souci dans les couplets et les refrains, certainement aidés par l’expérience en groupe des deux featurings.

Enfin, le morceau « La planque » est assez lumineux mais garde une touche sombre, notamment grâce à la prod lancinante de Davy One, SHK et Scar Productions. Le refrain est entêtant, les couplets presque dichotomiques, entre volonté d’évasion et quotidien morose chevillé au corps. C’est peut-être la plus belle synthèse du dilemme que peut proposer Maes dans son rap.

Devenir inoubliable

Avec « Réelle vie 3.0 », Maes est resté fidèle à son rap, qu’il maitrise sur le bout des doigts. Calibrée pour marcher, on admettra volontiers que la mixtape ne prend pas beaucoup de risques, mais difficile de reprocher cela quand on voit le succès de ses précédentes sorties.

Après cinq projets en cinq ans, le Sevranais a parfaitement conscience de ce qu’il sait faire, et de ses points forts. Points forts sur lesquels il s’appuie à la perfection, tout au long de sa mixtape. Nul doute que l’on entendra encore parler de Maes pendant de longues années. À lui, désormais, de marquer l’histoire.

Écouter « Réelle vie 3.0 » de Maes sur toutes les plateformes de streaming.

Dorian Lacour