Pico en est encore au tout début de sa carrière, pourtant il part avec des bases solides. Originaire de Sevran, il s’est entouré de grands noms pour son premier projet, « Rosenoz », qui est sorti ce 12 novembre. Entre débit au kilomètre et parenthèses mélodieuses, il n’hésite pas à dénoncer les problèmes de la société française au détour de punchlines coup de poing. Le premier grand pas dans le monde de la musique est fait, l’avenir est entre ses mains. Rencontre avec un jeune artiste plein de talent et de convictions.
Midi/Minuit : Salut Pico. Je voulais revenir sur ton parcours avant tout. Tu es encore au début de ta carrière, pourtant tu es déjà très bien entouré. Que t’a apportée ta signature, et le fait que tu rejoignes Hall Access, qui est une véritable pépinière à talents ?
Pico : C’est encore que le début comme tu l’as dit, mais ma signature m’a ouvert des portes. Être chez Sony, chez Hall Access, ça accélère les choses. Ça a boosté ma carrière tu vois. Ça m’a permis d’avoir des contacts plus facilement, et c’est plus professionnel, c’est pas comme si on était en indé. On a une bonne structure.
Midi/Minuit : Tu livres donc ton premier projet, « Rosenoz », ce 12 novembre. Est-ce-que tu pourrais m’expliquer le titre déjà ?
Pico : Alors, « Rosenoz » c’est de là d’où je viens, c’est ma cité. De base c’est La Roseraie, mais nous on l’appelle Rosenoz. C’est d’ici que tout est parti, j’étais obligé d’appeler mon premier projet comme ça, pour représenter ma cité.
Cover : Pico – « Rosenoz »
Midi/Minuit : Le premier morceau du projet, « Paname », est sorti en single. C’est un morceau hyper sombre, où tu décris un quotidien pas franchement joyeux. Ce qu’on retient, c’est que tu veux te barrer loin de Paname. Tu penses que c’est la musique qui va te permettre de partir loin, et de laisser tes soucis en France ?
Pico : J’espère que ça va m’en donner les moyens en tout cas. Après, c’était le thème du son, mais je compte pas non plus partir d’ici. Si la musique me permet de partir quelques temps, de laisser les problèmes, je le ferais, mais quitter la France c’est pas vraiment mon objectif. C’est vrai que le quotidien ici c’est chaud, mais depuis petits on est comme ça, on a l’habitude maintenant. C’est même plus quelque chose qui choque. C’est Sevran quoi, c’est comme ça.
Midi/Minuit : Dans le morceau « OG », tu as une phase assez marquante. Tu dis, « comme le teu-shi j’serai jugé à ma couleur ». Forcément, on comprend que tu dénonces là le racisme, des institutions, de la justice, de la police. C’est quelque chose auquel tu as été confronté directement toi ?
Pico : J’ai beaucoup voyagé, j’ai fait trois ans en Italie, trois ans au bled et après je suis revenu en France. J’y ai surtout été confronté en Italie. J’y suis resté trois ans, de mes 11 ans à mes 14 ans, et les vieux là-bas c’est pas pareil, il y a beaucoup de racisme. Même ici à Sevran, parfois on tombe sur des équipes de keufs de Boboch, la BAC mobile, tout ça. Quand ils viennent, ça se voit qu’ils nous aiment pas. En tout cas, quand je dis ça je veux faire référence aux shtars, à comment ils sont avec nous. Après, je mets pas tout le monde dans le même sac non plus.
Midi/Minuit : Tu penses que les rappeurs, sans être des conscientiseurs comme Kery James ou Médine, ont un rôle à jouer pour dénoncer le racisme systémique en France ?
Pico : Bien sûr, on a vraiment un rôle à jouer. Si les petits nous écoutent, ils vont prendre exemple sur nous. Si tu parles que de bicrave dans tous tes sons, peut-être que ça va les inciter à faire ça. Donc on est obligés de dénoncer des trucs. Devant le micro, je peux dire des choses qui sortent même pas là, quand on se parle en interview tu vois.
C’est plus simple pour moi quand je suis devant le micro, dans ma cabine, de dire ce que je pense. Mais oui, pour revenir à la question, on est obligés de dénoncer, de dire ce qu’il se passe dans nos quartiers. Si grâce à ça les petits peuvent prendre exemple, faut qu’on le fasse, c’est important.
Midi/Minuit : Il y a une ébullition en ce moment dans le rap en France, avec des rookies hyper-prometteurs qui arrivent tous les jours. Tu as conscience de cette concurrence exacerbée ?
Pico : J’te mens pas, pour moi il y a pas de concurrence. Y a plein d’autres rappeurs, ils sont forts et tout. Je fais ce que j’aime faire, les autres font ce qu’ils aiment, et y a pas d’embrouille. C’est comme ça que je fonctionne. Par contre, faut ramener son truc, faut avoir son délire pour se faire remarquer aujourd’hui, ça c’est sûr.
Midi/Minuit : Tu pars quand même avec un avantage, puisque tu es originaire de Sevran, la capitale du rap en France. Alors, je dis que c’est un avantage, mais ça peut aussi être un inconvénient puisque beaucoup de rappeurs attirent la lumière ici. Tu le perçois comment, toi ?
Pico : Pour moi c’est un avantage, parce que les projecteurs ils sont déjà sur nous justement. Les gens connaissent déjà la ville, ils savent d’où tu viens. Après, c’est à toi de proposer de la bonne musique, mais au moins les gens savent que tu viens de la capitale du rap, et ça forcément c’est un avantage. Je le ressens, quand tu dis que tu viens de Sevran les gens sont choqués, ils disent « oh tu connais untel ? tu connais untel ? ». La ville est connue tu vois.
Midi/Minuit : Tu t’es connecté avec deux poids lourds Sevranais justement sur « Rosenoz », Maes et DA Uzi. Comment est-ce-qu’elle s’est faite la connexion entre vous ?
Pico : La connexion elle a été rapide. Maes c’est mon gars on se connait d’avant. DA Uzi on se connait dans la ville, pas personnellement mais c’est vraiment la musique qui nous a soudés.
Midi/Minuit : Donc là encore, Sevran c’est un avantage ?
Pico : Ouais, parce que tu connais plein de gens. Même là, je vois plein de personnes qui si ça se trouve vont péter de ouf. C’est ça qui est bien ici, tu peux parler avec des gens qui dans deux ans vont tout péter. On essaye de faire chacun notre truc, mais si on peut rester connectés et soudés, faut le faire. C’est ce qui a été fait dans « Rosenoz ».
Midi/Minuit : Tu convies aussi UZI, sur le titre « Catalogué ». C’était un choix évident d’envoyer ce featuring en single, compte tenu du potentiel hitmaker de UZI ?
Pico : UZI, on a décidé de l’envoyer en premier parce qu’il venait de péter, il était en pleine forme quand on a sorti le clip. C’est un mec qui enchaine les bangers. Les autres aussi, mais si j’avais envoyé le morceau avec DA Uzi ou Maes c’était cramé, entre Sevranais. Là on voulait envoyer un truc auquel personne s’attendait. On aurait pu balancer celui avec Larry, ça a été des débats dans mon équipe, et on a choisi d’envoyer « Catalogué ». On le regrette pas du tout.
Midi/Minuit : On vient d’en parler, Larry est aussi présent, sur « Bip Bip ». Comment est-ce-que vous vous êtes retrouvés à faire un morceau ensemble ?
Pico : Là on est dans le même label, chez Hall Access, donc la connexion était rapide. C’est Mouss Parash qui nous a connectés. On s’est rencontrés au studio, et ça s’est super bien passé. Larry, humainement et artistiquement c’est un bon, c’est une crème ce mec.
C’est pareil pour les autres invités en vrai, j’ai jamais eu de problème avec un artiste encore. Peut-être justement parce qu’on se voit pas comme des concurrents. En tout cas, les quatre featurings de mon projet ils ont grave respecté le truc. J’en suis fier, j’espère juste que les auditeurs vont kiffer maintenant.
Midi/Minuit : Dans ton rap, tu alternes entre des phases chantonnées, des morceaux plus légers et plus ouverts, mais aussi du kickage, dans des morceaux comme « J’encaisse ». C’est dans quel registre que tu te sens le plus à l’aise ?
Pico : En vrai, j’aime bien les morceaux dans le délire autotuné, un peu légers, mais là où je suis le plus efficace c’est dans kickage. Après, si je veux toucher plus de monde, faut que je donne au public ce qu’il veut. Y a des gens qui aiment le kickage, mais je suis obligé de toucher à tout, de faire toutes les couleurs de la musique.
C’est comme, encore une fois pour les feats, avec Larry j’ai dû débiter, avec DA Uzi j’ai dû chanter pour que ça se marrie bien parce que lui il kicke, avec Maes j’ai dû aller dans son mood, dans son univers… J’essaye de m’adapter, de donner aux gens ce qu’ils veulent, pas de tout le temps kicker.
Midi/Minuit : Parle-moi de tes influences. Quels étaient les artistes que tu écoutais, plus jeune, et qui t’ont peut-être donné envie de te lancer dans le rap ?
Pico : J’écoutais du Sefyu, du Zaho, du Booba, du Kery James. Y avait beaucoup d’artistes de Sevran à l’ancienne, des gars qui ont pas pété mais que j’écoutais énormément. Après j’écoute vraiment de tout, de la musique afro, nigériane, du Burna Boy à fond. Même des musiques américaines ou anglaises. Franchement, j’écoute de tout.
Midi/Minuit : On voit énormément d’artistes lancer leur carrière par des EPs ou des mixtapes courtes. Toi, tu as choisi de livrer un 16 titres, avec déjà de très gros noms, on en a parlé. Tu penses que c’est ça, la bonne manière d’imposer son style ?
Pico : C’est simple, on voulait mettre la barre haute dès le début. On avait des choses à dire et on voulait pas faire comme les autres. On voulait frapper fort direct, et je pense que ça a été fait. Pour la suite, on va mettre la barre encore plus haute. Mine de rien on a fait une mixtape de ouf. Quand tu vois les titres, les invités, la tracklist, tu te dis que c’est presque un album.
Midi/Minuit : C’est quoi la suite pour toi, comment tu vas mettre la barre encore plus haute ?
Pico : Si tout se passe bien, pour la suite, ça va être encore plus lourd. On envoie la mixtape, on voit comment ça se passe, et ensuite on continue sur notre lancée. Y a du lourd, du très très lourd qui arrive. On compte pas s’arrêter là, on compte choquer les esprits encore.
Écouter « Rosenoz » de Pico sur toutes les plateformes de streaming.