Kalash Criminel est devenu une figure incontournable du rap français. Avec « Sélection naturelle », il offre un album à l’efficacité redoutable et au message hautement politique. Sans faire de concession, il démontre toute l’étendue de son talent. Le « cagoulé le plus connu au monde » n’a jamais aussi bien porté son surnom.
Une claque. C’est l’effet que fait « Sélection naturelle » à celui qui l’écoute pour la première fois. Sur des prods explosives signées des tous meilleurs beatmakers du game (Ray da Prince, Marcelino, Hypnotic Beatz, Medeline, Baille Broliker…), le Sevranais étale toute sa palette. Naviguant entre des bangers trap sur-vitaminés (« Insta Twitter », « Doute », « Turn Up »…) et des morceaux plus mélancoliques (« Sale boulot », « Tarifs », « Death Note »…) il montre qu’il maîtrise complètement son rap.
Sa progression technique se confirme, et ses lacunes du début sont gommées. Le produit final est captivant et homogène. Aucun morceau n’est vraiment en-dessous des autres alors même que le projet dure presque une heure. Kalash Criminel a trouvé le juste dosage entre tout ce qu’il est capable de faire pour offrir un album qui ne souffre d’aucune réelle lacune.
Kalash Criminel (© DR)
La rage de ses débuts semble s’être apaisée, et dans la continuité de « La fosse aux lions » sorti en 2018, il propose des morceaux plus accessibles à un large public. Cela ne l’empêche pas de découper le beat à coup de punchlines assassines sur certains morceaux (« Quand j’vais t’enculer, kidnapper ta mère, faudra pas m’dire que j’suis méchant et sévère »). Sûr de lui, il n’hésite pas à proposer des couplets presque chantonnés comme dans « Sale boulot », et là encore ça tombe juste.
Une attention toute particulière a été prêtée à l’image, de l’incroyable cover réalisée par Fifou – et dont la conception a été documentée dans l’émission « Undercover » de FranceTV Slash – aux clips léchés de Félicity Ben Rejeb Price (« But en or » feat. Damso) et Sam Ruben (« Sale boulot »). Cette imagerie sert de vitrine à une musique polie comme un diamant.
Cover : Kalash Criminel – Sélection naturelle (© Fifou)
Un album politique
Si « Sélection naturelle » est aussi efficace, c’est aussi par les messages qu’il transmet. Kalash Criminel, malgré sa popularité croissante, n’a pas délaissé ce qui est l’essence même de son rap : la dénonciation. Alors qu’il aurait pu facilement tomber dans un rap aseptisé et cliché, il a choisi de garder sa ligne de conduite qui incrimine les puissants.
Le sort de la République démocratique du Congo est un sujet qui revient très souvent dans son rap. Il dénonce aussi bien la corruption des élites du pays que les ingérences étrangères dans la politique congolaise (« Les problèmes du Congo, c’est les Congolais, tu rajoutes Bill Gates et Paul Kagame » / « Mon pays vit dans la misère, pourtant, on a toutes les richesses »). Les injustices en France sont également pointées du doigt, comme lorsqu’il dit « La violence, un être humain qui dort sur un trottoir » dès l’intro de l’album.
Le racisme est également au centre du projet, et en particulier celui subi par la communauté albinos (« Certains blancs n’aiment pas les noirs, certains noirs n’aiment pas les albinos […] Être albinos, c’est hype depuis qu’Crimi est devenu populaire, mais en Afrique, on nous tue, on nous coupe des membres, on nous sacrifie »). Kalash Criminel est doublement victime de racisme, d’une part car il est d’origine africaine et d’autre part car il est justement albinos. Cette situation n’est pas nouvelle, il le dénonçait déjà dans ses précédents projets, mais cette fois l’ampleur que prennent ses propos est tout autre.
Kalash Criminel (© DR)
Envoyer un « Pourquoi on censure Dieudonné mais on laisse parler Eric Zemmour ? » dans un morceau comme « But en or » n’est pas un hasard. Comme il le dit lui-même dans le morceau « Incompris », « j’continuerai à […] dénoncer jusqu’à c’qu’on m’enlève la vie ». Kalash Crimi veut que ses messages soient entendus par le plus de personnes possibles, et il s’en donne les moyens. Pour permettre de donner encore plus de poids à son propos, il s’est entouré de la fine fleur du rap français.
Des featurings révélateurs du statut de Kalash Criminel
Si une chose est sûre, c’est que le rappeur du 93 est complètement inséré dans le paysage rap en France. Ses featurings en témoignent. Le casting de « Sélection naturelle » est phénoménal. Alors que de nombreux rappeurs seraient prêts à remuer ciel et terre pour n’avoir que l’un d’entre eux sur leur album, Kalash Criminel aligne sans sourciller Nekfeu, Damso, Jul, Bigflo & Oli ou encore Niska.
Altruiste, il convie également le jeune et méconnu 26Keuss qui est signé sur son label Sale Sonorité Records. D’ailleurs, le morceau « Droga » sur lequel les deux artistes collaborent est une belle réussite. Sur une prod entêtante de Yakes, le rookie livre un premier couplet très efficace.
« But en or » avec Damso est un hit, tout simplement. L’alchimie entre les deux rappeurs est complète, ils se répondent à coup de phases plus incisives les unes que les autres (« Moi, j’y pense à chaque instant, nos ancêtres dans les champs d’coton, bien sûr que j’suis pas content, mon pays s’fait tuer à cause du coltan » // « Les missionnaires nous ont promis que l’or vaudrait moins que nos vies, douze millions de morts plus tard, on parle de dettes et de crédits »).
Le morceau « Turn Up » en a surpris plus d’un. Alors qu’on pouvait s’attendre à un morceau mélodieux, c’est sur un banger suintant de 808s que Kalash Criminel et Nekfeu ont décidé de se retrouver. L’entrée de couplet de Nekfeu est certes un peu poussive, mais un changement de flow permet de remettre les pendules à l’heure avec des punchlines bien senties (« J’suis pas responsable des bouffons qui m’écoutent, tout comme t’es pas responsable du boloss à qui tu vends »).
« Moments » avec Bigflo & Oli est contre toute attente plutôt réussi, les trois rappeurs parviennent à trouver un terrain d’entente et le morceau est de bonne facture. D’ailleurs, lorsque Bigflo dit « Le ciel sait, que l’on saigne, sous nos cagoules », on ne peut s’empêcher de penser au phénomène La Voix, que beaucoup soupçonnent d’être en réalité le rappeur toulousain.
Les morceaux avec Niska (« Tu paniques ») et Jul (« Dans la zone ») sont peut-être un peu moins marquants, mais ils n’en restent pas moins efficaces.
Le Grand Crimi met tout le monde d’accord
Avec « Sélection naturelle », Kalash Criminel a franchi un nouveau cap. Entre trap hardcore et toplines mélodieuses, il a su trouver le juste équilibre pour ne pas décevoir son auditoire et parvenir à en séduire un nouveau. Bien entouré, tant au niveau des beatmakers que des featurings, il propose un projet abouti et qui ne demande qu’à être réécouté. Cet album confirme le statut de figure incontournable du rap français que le Sevranais s’efforce de construire depuis plusieurs années. Comme il le dit lui-même, « j’suis installé dans l’game, j’suis installé, propagande musique, un peu comme Staline ».
Kalash Criminel (© Nesko)
Toujours humble, reconnaissant envers ses aînés et fidèle à la même ligne de conduite depuis ses débuts, il peut désormais contempler le succès de son projet, serein comme quelqu’un qui n’a plus rien à prouver. Mais, au final, le succès commercial de l’album n’est sûrement même pas une source d’inquiétude pour lui. Il a réussi le plus compliqué : être validé par l’intégralité du game. Pas mal pour quelqu’un qui scande qu’« à la base, j’étais pas là pour percer, j’étais là pour leur faire peur ».
Écouter l’album « Sélection naturelle » sur toutes les plateformes de streaming.
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