Le lundi 18 mai, Netflix a mis en ligne les deux derniers épisodes de la série-documentaire tant attendue « The Last Dance» consacrée à Michael Jordan et la dynastie des Chicago Bulls dans les années 90. L’occasion pour tous les fans de basket de découvrir ou redécouvrir les exploits de His Airness et par la même occasion de remettre sur le tapis la comparaison avec LeBron James.

La liste des arguments pour défendre les deux camps est longue et les internautes ne se font pas prier pour donner leur avis sur qui est le meilleur joueur de tous les temps. Nous nous sommes donc penchés sur la question.

En juin 2003, alors que Michael Jordan, considéré sans égal comme le meilleur joueur ayant foulé les parquets de la NBA, annonce prendre sa troisième et ultime retraite, et que Tony Parker soulève son premier titre avec les San Antonio Spurs, une nouvelle pépite du basket américain s’apprête à faire son entrée dans la ligue. Le 26 juin 2003, LeBron James, nouveau phénomène, est sélectionné en premier choix de la Draft. Le natif d’Akron a directement débarqué de son lycée Saint-Vincent-St. Mary sans passé par la case NCAA. A l’image de Kobe Bryant, Tracy McGrady ou encore Kevin Garnett avant lui, pour ne citer qu’eux. Un exploit en plus pour LeBron James, me direz-vous, par rapport à Jordan, qui n’a vraiment commencé à faire parler de lui que lors de ses années avec North Carolina avec notamment le shoot victorieux pour offrir le titre à son équipe lors de la finale universitaire en 1982.

Quels critères ?

Bien que ce débat semble interminable, comme le souligne George Eddy, commentateur emblématique de la NBA en France : « On n’est pas obligé de choisir un joueur qui est meilleur que les autres. Même Jordan dit qu’on ne peut pas comparer les époques », beaucoup de choses sont tout de même à prendre en compte. Les résultats collectifs, les statistiques individuelles, l’impact sur le terrain et sur les autres… « Mais si on va à l’essentiel, LeBron n’a gagné que trois titres en neuf finales et pour moi c’est moins fort que six finales, six titres et six distinctions de MVP des finales », confie George Eddy. De son côté, Moustapha Cissé, consultant NBA pour le média In Da Paint et ancien joueur passé par le paysage professionnel en France, ajoute également l’aspect extra sportif. Même si MJ est toujours au-dessus pour l’instant selon lui, c’est bien grâce à son engagement hors des terrains que King James pourrait faire la différence. « Il faut penser au sportif, mais aussi au social. C’est pour ça que LeBron peut s’inviter dans une discussion future pour le statut de GOAT. Tout ça compte. Sinon, des gars comme Robert Horry pourraient s’inviter dans la discussion parce qu’il a sept titres. Il a eu un impact sur des actions clés pour gagner des titres, mais pas sur le basket en général ni sur une communauté. Très peu de joueurs peuvent se comparer à Robert Horry pour les titres, mais beaucoup voudront être Jordan », conclue-t-il.

Légendes sur le terrain 

Michael Jordan ne l’a jamais caché, il a toujours été inspiré par Julius Erving. Légende ABA (ancienne concurrente de la NBA) et NBA actif entre 1971 et 1987 et connu pour son jeu aérien, Dr. J est notamment le premier joueur à avoir réussi un dunk depuis la ligne des lancers-francs en 1976, avant que Michael Jordan le popularise lors des concours de dunks 1987 et 1988. Seulement, MJ a pu jouir d’une popularité sans précédent et a ainsi redéfini le jeu NBA en instaurant toute une palette technique incroyable à travers de nombreux gestes de haute-voltige et d’actions clés. À tel point qu’aujourd’hui encore on qualifie de « Jordanesque » tout ce qui sort du commun lors d’un match de basket. Pour Mouss Cissé, le mythique numéro 23 des Chicago Bulls « est à la croisée de ce que pouvait être le basket avant lui, c’est-à-dire Abdul-Jabbar, Magic Johnson ou Larry Bird, et ce qu’est le basket aujourd’hui. C’est à partir de l’ère Jordan qu’il y a eu une révolution dans le basket ». Une analyse que l’on peut juger de partagée par Kobe Bryant. Décédé tragiquement fin janvier, l’ancien joueur des Los Angeles Lakers était certainement le plus grand fan de Michael Jordan et est allé jusqu’à presque devenir une copie parfaite de MJ. Interviewé dans le cadre de « The Last Dance », le Black Mamba a tout simplement confié que tout ce qu’on a pu le voir faire sur un terrain venait de Michael Jordan. 

Michael Jordan

Michael Jordan (Photo : DR)

« Après sept ans, Jordan a tout compris de ses coéquipiers et du collectif. Il est devenu une machine imbattable », George Eddy

Icone de toute une génération, MJ a marqué les esprits de tous. Ses faits d’armes sont indénombrables. Lancers-francs les yeux fermés, 63 points face aux Celtics en playoffs à seulement 23 ans qui lui vaut une comparaison à Dieu de la part de Larry Bird, un match sous fièvre pour offrir le titre à son équipe en 1997, son dernier tir avec les Bulls pour le titre face à Utah en 1998 ou encore un changement de main en l’air en finale 1991… « Il monte à droite et il met le ballon dans sa main gauche. Je passe toute ma carrière à dire aux jeunes qu’il n’y a pas que des dunks dans le basket NBA. Les dunks c’est génial, mais il n’y a pas que ça. Ce geste-là n’est pas un dunk, mais c’est d’une élégance et d’une beauté uniques. Peut-être que Jordan était le seul à pouvoir faire ça avec les Clyde Drexler et Vince Carter. Ce geste-là se passe dans sa première finale, la première qu’on commente en direct de la salle aux Etats-Unis. Je l’ai vu en vrai et je l’ai revue 1000 fois au ralenti. Au moment de sa première retraite on avait fait un documentaire sur Jordan et ses trois premiers titres dans lequel on revoyait ce geste sous tous les angles avec une belle musique. Quelque part c’est vraiment symbolique du jeu spectaculaire et élégant de Jordan à l’époque. Si je ne dois retenir qu’une seule action de Jordan, c’est celle-ci », se rappelle George Eddy.

Drafté en troisième choix en 1984, le chemin a été long pour que Jordan obtienne son premier titre. Longtemps considéré comme un simple scoreur, il a dû attendre 1991 pour gagner sa première bague. La première d’une série de six. « Il n’y a aucun joueur qui a six finales pour six titres et six distinctions de MVP des finales. C’est totalement unique comme exploit et je pense que ça met Jordan devant les autres. Le fait qu’il ait dû attendre sept ans pour son premier titre aussi. En anglais, on dit « pay your dues » (ndlr, « faire ses preuves »). Il a payé le prix pour apprendre, pour perdre et pour revenir plus fort. Après sept ans, il a tout compris de ses coéquipiers et du collectif. Il est devenu une machine imbattable », précise George Eddy.

Georgi Joseph, joueur professionnel passé par l’ASVEL, Orléans ou encore Monaco et qui a notamment fait une partie de sa formation aux Etats-Unis, a une théorie sur la question. Selon lui, c’est ce côté émotionnel qui joue en faveur de Jordan. « Je pense tout simplement qu’émotionnellement parlant, les gens ne veulent pas mettre quelqu’un au-dessus de Jordan parce que c’est leur idole. Ça n’a rien à voir avec le basket, c’est les émotions que Jordan a procuré à une certaine génération. De par les émotions, ils ne peuvent pas faire autrement que dire que Jordan est au-dessus. Dès que tu contredis la pensée générale, soit tu ne connais pas le basket, soit tu es un hater, un rageux… Les gens ne veulent pas prendre les arguments et veulent juste écouter leur cœur. Je dis ça alors que Jordan était mon joueur favori à l’époque», résume-t-il. Pour lui, LeBron James est le GOAT.

Revenons en 2003. LeBron James s’apprête à faire ses premiers pas dans le monde professionnel et les médias américains en ont déjà l’eau à la bouche. Sport Illustrated le voit déjà comme un nouvel héritier de Michael Jordan et le surnomme The Chosen One, l’Elu en français. Par la suite, il n’a pas fait mentir les experts. Presque 17 ans plus tard, il fait partie des plus grands champions de l’histoire du sport. Celui qui a toujours porté le numéro 23 – sauf à Miami car le numéro y est justement retiré en l’honneur de la carrière de MJ alors qu’il n’y a jamais joué -, en hommage, à Michael Jordan a, lui aussi, marqué l’histoire du basket. Monstre physique dès son arrivée au plus haut niveau, il possède surement les mensurations du joueur de basket idéal avec 2,03m pour environ 115 kilos et il ne fait aucun doute qu’il aurait performé aussi bien dans les années 80/90. « LeBron est encore plus physique que Jordan qui a commencé à faire beaucoup de musculation dans la deuxième partie de sa carrière. Il est devenu beaucoup plus costaud même avant le premier Three Peat. Pour battre Detroit, il va se mettre à faire de la musculation parce qu’il sait qu’il va prendre des coups. Jordan est devenu plus physique au début des années 90 pour battre Detroit, mais LeBron a été très physique dès le début de sa carrière. C’est vrai que c’était un basket différent avec des règles différentes avec beaucoup plus de fautes et d’intimidation. C’était un basket beaucoup plus ralenti et beaucoup plus défensif. Parfois violent et même dangereux. Ce n’est pas ça que j’appréciais dans les années 90, mais LeBron James a complètement les atouts pour jouer à cette époque. C’était d’ailleurs aussi un très bon joueur de football américain. Je ne pense pas que les Pistons auraient fait peur à LeBron James », analyse George Eddy. 

Quand le King fait parler sa puissance, pas grand monde y résiste. La preuve en 2016. Alors qu’il tente d’offrir le premier titre de son histoire à Cleveland après un premier échec l’année passée et déjà face aux Warriors, LeBron James a signé une finale de très haute voltige. « Ce qui m’a choqué, c’est que LeBron jouait meneur en finale et la façon dont il disséquait l’attaque, il arrivait à avoir exactement le shoot qu’il voulait du joueur qu’il voulait et à l’endroit qu’il voulait avec le meilleur pourcentage », confirme Georgi Joseph. Ainsi, il a permis à son équipe, menée 3-1, de remonter la pente et de l’emporter 4-3. C’est la seule et unique fois qu’une équipe a remonté un tel écart en finale NBA. C’est d’ailleurs lors du match 7 face à Golden State, que l’actuel franchise player des Los Angeles Lakers a réalisé le désormais culte contre décisif sur Andre Iguodala à deux minutes de la fin du dernier match de la saison. L’action de sa carrière ? Une évidence pour Georgi Joseph, qui pense d’ailleurs que c’est à partir de ce moment-là que LeBron a dépassé Jordan : « Il était déjà sur ses côtes, tout le monde le voyait, il arrivait à grand pas. Ensuite en 2017 quand il mène en finales NBA en points (ndlr, KD à 35,2 et LBJ à 33,6), en rebonds et en passes décisives, c’est du jamais vu ! Pour moi, il aurait dû finir MVP, même si les Cavs ont perdu, parce que c’est incroyable ce qu’il a fait avec ce qu’il avait en sachant que tout le monde l’attendait au tournant. La série a été beaucoup plus disputée que ce que les gens pensent alors qu’il y avait Kevin Durant en plus chez les Warriors ».

Un point statistiques

Si l’on doit parler purement de chiffres, Michael Jordan a remporté six titres pour autant de finales jouées tandis que LeBron James ne compte, lui, « que » trois bagues pour neuf finales disputées. D’un point de vue individuel en carrière, MJ tournait en moyenne à 30,1 points, 6,2 rebonds et 5,3 passes décisives par match pour un pourcentage de 49,7 à deux points, 32,7 à trois points et 83,5 aux lancers-francs. De son côté, LBJ compile en moyenne 27,1 points, 7,4 rebonds et 7,4 passes décisives pour 50,4% de réussite à deux points, 34,4% à trois points et 73,5% sur la ligne des lancers. En lisant ces simples statistiques de base, King James semble donc moins scoreur, mais plus complet ou efficace avec moins de déchets, excepté aux lancers. Du moins en attaque, même si Jordan termine 10 fois meilleur marqueur de la saison tandis qu’une seule fois pour James. En revanche, dans l’histoire, LeBron James est devant en nombre total de points marqués en carrière avec 34 087 en 1256 matchs contre 32 292 points marqués par Michael Jordan en 1072 matchs. Même chose en playoffs, L’ancien joueur de Miami pointe à 6 911 unités en 239 matchs alors que MJ s’est arrêté à 5 987 points marqués en 179 matchs. Difficile tout de même de comparer quand dans la NBA de l’époque les matchs se terminaient avec beaucoup moins de points marquées qu’aujourd’hui et que MJ a disputé 15 saisons tandis que LBJ allait conclure son dix-septième exercice en 2020. 

Précieux et recherchés dans les moments clés, les deux joueurs ont souvent pu s’illustrer dans les dernières secondes des matchs, pour donner la victoire à leur équipe. En carrière, saison régulière et playoffs confondus, Michael Jordan est devant avec neuf shoots victorieux au buzzer et LeBron James en compte sept. Là où le King à l’avantage c’est que cinq de ses buzzer beaters pour la gagne ont eu lieu en playoffs, quand toute la saison se joue donc, tandis que Jordan s’est arrêté à trois.  « Après on dit que LeBron n’est pas clutch, mais tout le monde oublie les tirs à trois points contre Chicago, contre Orlando. Tout le monde oublie les 10 points contre les Celtics. Si ce n’est pas clutch, c’est quoi ? Il est clutch aussi par la passe, il faut savoir faire la passe, faire le bon choix. Ce contre sur Iguodala, il n’y a pas plus clutch que ça ! Il se fait descendre parce qu’il est passé à côté dans une finale. Mais il a appris de ses erreurs », défend Georgi Joseph.

En regardant les grandes lignes du palmarès de chacun, MJ compte donc six titres, LeBron « seulement » trois, Jordan a été élu cinq fois MVP de la saison et six fois MVP des finales. LeBron James a, quant à lui, été élu MVP de la saison à quatre reprises et trois fois MVP des finales. Au-delà de ça, là ou Jordan fait la différence c’est du côté de la défense. Il a été nommé neuf fois dans l’équipe défensive de la saison, il a un titre de meilleur défenseur de l’année et a terminé trois fois meilleur intercepteur de la ligue. Le King ne compte « que » cinq nominations dans le cinq défensif type de la saison et aucune distinction de meilleur défenseur ou intercepteur de l’année. « Jordan et LeBron ont un peu le même impact sur le jeu parce qu’ils sont à la fois capables de mettre 30 points, de donner 10 passes. A la limite, Jordan était peut-être meilleur en défense parce qu’il était tous les ans dans le top 5 des meilleurs défenseurs, il a été élu meilleur défenseur de l’année. LeBron peut très bien défendre par séquences, mais il n’a jamais été connu pour être le meilleur défenseur de la NBA, même s’il a réalisé le contre décisif sur Andre Iguodala en finale 2016. C’était un beau geste, mais tout au long de sa carrière Jordan et Pippen étaient dans les cinq meilleurs défenseurs de la NBA. Ça veut dire qu’il était la fois tous les ans meilleur marqueur et aussi dans les meilleurs défenseurs. C’est sur ça que LeBron n’a pas vraiment atteint ce côté complet », argumente George Eddy. Une analyse en partie partagée par Georgi Joseph : « je suis d’accord sur ce point-là, et encore. Sur l’homme poste 1, 2 voire 3 Jordan est meilleur défenseur. Mais, LeBron par moment peut défendre sur des meneurs, sur des arrières, sur des poste 3, sur des 4 et sur des poste 5 ». 

« LeBron James, c’est clairement le Jordan d’aujourd’hui », George Eddy.

Une histoire de franchises 

En carrière, Michael Jordan n’a connu que deux franchises NBA. Il a débuté aux Chicago Bulls en 1984, pour lesquels il a porté le maillot jusqu’en 1993 puis de 1995 à 1998. Ensuite, il est sorti une deuxième fois de sa retraite en 2001 pour s’engager deux ans avec les Washington Wizards. Franchise dont il était copropriétaire et responsable. Néanmoins, c’est bien à Chicago que toute la légende de His Airness s’est écrite et c’est là-bas qu’il a réalisé tous ses exploits et décroché ses six titres de champion NBA. « Ce qui porte préjudice à LeBron James, c’est qu’il n’a pas tout accompli dans la même équipe. Il est parti à Miami, il est revenu à Cleveland, il a signé à Los Angeles. Michael Jordan, il a tout fait avec les Bulls », souligne Moustapha Cissé.

Un sentiment non partagé par Georgi Joseph, qui pense que le management des Cavaliers n’a pas fait ce qu’il fallait pour permettre à LeBron James de rester : « On parle beaucoup du fait que LeBron choisi ses équipes. Pour moi, ce n’est pas vrai. Une superstar, ça a un certain pouvoir d’influence sur les choix. Mais comme on a pu le voir avec Jerry Krause (ancien General Manager des Bulls), le General Manager de Cleveland David Griffin jouait un match de boxe avec LeBron. Il disait qu’il allait construire l’équipe lui et non pas LeBron. Il pensait ne pas avoir besoin d’aide parce qu’il a tout misé sur LeBron coute que coute. Quand tu regardes les joueurs qui sont venus à Cleveland, ils ne faisaient pas le poids. Des Shaq en fin de carrière, Zydrunas Ilgauskas ou alors des mecs qui n’avaient aucune expérience en playoffs. Malgré tout ça, LeBron a tellement dominé la conférence Est. Mais pour moi, c’est pour ça qu’il est parti à Miami. LeBron sait que la carrière d’un basketteur est courte, quand on voit qu’on ne peut pas gagner à un endroit et que la personne aux manettes passe son temps à nous mettre des bâtons dans les roues, que votre deuxième meilleur joueur c’est Mo Williams, désolé mais je serais parti aussi, même si c’est chez moi. Pour montrer que sans moi vous n’y arriverez pas. C’est soit on m’écoute un petit peu, on fait des changements et on ramène des gens potentiellement capables d’apporter quelque chose, soit je me barre. Et il est parti. Chose que Jordan n’a pas eu à faire parce qu’on lui a ramené des Dennis Rodman, Toni Kukoc, Steve Kerr. Ce ne sont pas n’importe qui. Ron Harper avant de venir à Chicago, il tournait à 20 points par match. Pour moi, Jordan a clairement eu de meilleures équipes et ça biaise un peu la comparaison quand on parle des six titres parce que forcément quand t’as une meilleure équipe et un meilleur coach, c’est un peu normal que tu gagnes. Quand on regarde LeBron, il n’a jamais eu de coach phénoménal à part quand il a pu côtoyer Pat Riley à Miami qui a pu lui inculquer des choses. Quand il est rentré à Cleveland, il était encore meilleur. Il a fait ses choix et je pense que si Kevin Love et Kyrie Irving ne se blessent pas, ils gagnent la finale 2015. Ce qui fait que LeBron est le meilleur joueur de tous les temps, c’est qu’il a fait mieux que n’importe quel autre joueur avec ce qu’il a eu. »

LeBron James (Photo : Kirby Lee)

« Ce que je trouve bizarre c’est… on parle de Floyd Mayweather et Mohammed Ali. Tout le monde est d’accord pour dire que Mohammed Ali est le meilleur boxeur de tous les temps parce que sa carrière, sa domination dans la catégorie reine, son implication dans la justice sociale, prise de position…  Pourquoi ça ne s’applique pas à Jordan ? Pourquoi on ne compte pas les défaites ? Ok en finale il est invaincu, mais pourquoi on ne compte pas les défaites plus tôt en playoffs ? ‘Ouais mais il n’était pas…’ Oui mais il était là quand même. Pourquoi on ne compte pas quand il était aux Wizards ? Il n’a pas fait les playoffs, mais il est revenu, ses points, ses statistiques elles comptent dans sa carrière. Pourquoi on ne les compte pas ? Pourtant on prend en compte la saison de LeBron aux Lakers et qu’ils ne font pas les playoffs», déplore aussi Georgi Joseph. 

« LeBron James a dû surmonter beaucoup plus d’obstacles que Jordan », Georgi Joseph

En plus de n’avoir pas connu le même nombre de franchise, Michael Jordan et LeBron James n’ont pas connu les mêmes coéquipiers. Pendant les années 90, Jordan a formé un duo des plus prolifiques aux côtés de Scottie Pippen, souvent considéré d’ailleurs comme le meilleur duo de l’histoire. « Je pense d’ailleurs que Jordan, même s’il a été très dur, a quand même tiré tout le monde vers le haut que ce soit Scottie Pippen, Horace Grant, BJ Armstrong ou John Paxson. Ils ont tous été plus forts grâce à la présence de Jordan même s’il mettait une pression terrible sur lui-même comme sur les autres. Sur le deuxième three peat (ndlr, gagner trois titres consécutifs) de 1996 à 1998, il a fait renaître Dennis Rodman. Il avait beaucoup de respect pour Michael Jordan et s’il se tenait à carreaux c’était pour ne pas lui déplaire. Toni Kukoc a aussi fait une belle carrière et Pippen était de plus en plus fort. Jordan avait besoin d’eux aussi. Tout seul, il n’aurait rien pu faire », assure George Eddy.

Équipe Chicago Bulls 1996 (Photo : DR)

De ce côté-là, LeBron James possède une avance sur Jordan selon Georgi Joseph : « LeBron James ramène JR Smith, la tête brulée dont personne ne voulait. Il est passé par New York et Denver sans jamais rien gagné et il a réussi à en faire le joueur qu’on a vu en finale. Iman Shumpert, pareil, personne n’en voulait. A New York il mettait de temps en temps des points, il était athlétique, mais ce n’était pas une star. Jefferson en fin de carrière, il te sort des shoots, des contres, des dunks, des rebonds, des stops défensifs venus de nulle part. À Miami c’est pareil, il y a les Shane Battier, James Jones. Les gens minimisent l’impact que LeBron a eu sur ces joueurs-là, sur leur l’éthique de travail. Il n’a jamais été détesté par ses coéquipiers, ni par ses adversaires». Il est quand même bon de rappeler également que LeBron James a pu aller chercher les deux premiers titres de sa carrière aux côtés de Dwyane Wade et Chris Bosh, deux futurs Hall of Famers, puis son troisième avec côtés de Kyrie Irving et Kevin Love. « On parle de Kevin Love. Certes, il avait des statistiques à Minnesota, mais il n’avait jamais fait les playoffs, il n’avait jamais connu un bilan positif. C’était un mec lambda, il prenait beaucoup de rebonds, certes, mais il jouait 40 minutes donc encore heureux qu’il prenne des rebonds. Il est venu à Cleveland, il a bossé avec le King, il a perdu du poids, il s’est trouvé un rôle, il a embrassé ce rôle, il a été performant et ils ont gagné. Kyrie Irving pareil. Il faisait des statistiques incroyables, il prenait tous les shoots, mais ce n’était pas un gagnant. Il n’avait pas non plus d’expérience en playoffs. Jordan il a eu Rodman qui avait gagné deux titres avant de le rejoindre, Harper avait déjà connu les playoffs, Kukoc était une star internationale. Pour moi, c’est biaisé. On ne peut pas dire que Jordan, certes, c’était le meilleur joueur, mais comparé à ce que LeBron a affronté ça n’a rien à voir. LeBron James a dû surmonter beaucoup plus d’obstacles que Jordan », poursuit l’ancien pensionnaire de l’université de Kennesaw State, en Géorgie.

(Photo : DR)

Si sur le terrain, on peut estimer que Jordan a fait face à moins d’obstacles, la vie du sextuple champion NBA n’a pas été toute rose. Après le troisième titre de son fils, en 1993, James Jordan, père de Michael a été assassiné le 23 juillet par deux hommes alors qu’il faisait une sieste dans sa voiture sur une aire de repos. Porté disparu depuis ce jour, le James Jordan n’a été retrouvé que le 3 août 1993 et identifié le 13. La perte de son père qu’il considérait également comme son meilleur ami a eu l’effet d’un séisme dans la vie de MJ. Ça l’a même poussé à prendre sa première retraite et d’aller tenter sa chance au baseball, avant d’annoncer son retour en fin de saison 1995 par la simple mais célèbre formule « I’m back ».

Pour revenir à cette fameuse finale NBA de 2016, LeBron James est parvenu à offrir le titre à sa franchise face à l’une des meilleures équipes de l’histoire. Les Golden State Warriors venaient de battre le record de victoires en saison régulière (70v-12d par les Bulls en 1995/96) avec 73 succès pour seulement 9 défaites. « Pour moi, l’équipe que LeBron a amené jusque-là, ce n’était pas une super team. Il est revenu à Cleveland, les Cavs n’avaient pas fait les playoffs l’année précédente, ils étaient partis sous les huées de toute ville entière. Le fait qu’il quitte son cocon à Miami où il aurait pu ramasser des victoires pendant des années encore et qu’il revienne à Cleveland pour repartir de zéro et tout reconstruire là-bas, aller là où personne ne l’attendait et amener cette équipe jusqu’en finale et battre l’équipe championne en titre, qui détient le record de victoires en saison régulière. C’est du jamais vu. Certains vont jusqu’à dire que c’est la meilleure équipe de tous les temps et LeBron James bat cette équipe-là. Trois ans avant, il bat l’équipe de San Antonio qui est pour moi dans le top 5 des meilleures équipes de tous les temps, une dynastie, tu peux les comparer aux Showtime Lakers, c’est pareil pour moi. Il a aussi battu cette équipe-là. Les gens ont tendance à oublier cette performance incroyable », affirme Georgi Joseph. 

A lire : notre interview de George Eddy sur The Last Dance et le débat Michael Jordan ou LeBron James

Icones hors du terrain

Evoqué un peu plus tôt, l’extra sportif est un domaine où les deux hommes se sont évidemment illustrés en raison d’une popularité bien au-dessus de la moyenne, même pour des stars. Seulement, ils ne se sont pas forcément fait remarquer de la même manière. Si Jordan est entrée dans l’histoire hors des parquets dès 1988 en voyant Nike créer une marque complète à son effigie (Jordan Brand) et est devenu un véritable homme d’affaires, l’ancien arrière des Bulls est devenu une icône à part entière et son logo de lui-même sautant balle en main les deux jambes écartées est mondialement connu. Plus encore, chaque fan de sneakers qui se respecte sera fier d’exposer dans sa collection telle ou telle paire d’Air Jordan. Un succès indescriptible à tel point que Michael Jordan est le seul sportif à culminer à plus de deux milliard de dollars de gains aujourd’hui. 

En revanche, la réputation de Michael Jordan a par moment eu du plomb dans l’aile. Lors des finales de conférence 1991 face aux New York Knicks, MJ a été vu dans un casino d’Atlantic City. S’en sont suivies plusieurs rumeurs d’addiction aux jeux d’argent. Rumeurs dont le joueur lui-même s’est plusieurs fois défendu. Journaliste pour The Athletic et en activité depuis pratiquement 30 ans, David Aldridge s’est exprimé à ce sujet dans « The Last Dance » pour défendre Jordan en précisant que lorsque l’ancien joueur des Chicago Bulls mettait 10 000 dollars sur la table, c’est comme si une personne lambda posait 10 dollars et qu’il ne fallait pas s’en inquiéter. Cet épisode a d’ailleurs fait naitre une tension entre MJ et la presse de l’époque. 

Néanmoins, s’il y a bien un domaine où l’image de Michael Jordan a pu être ternie, c’est en politique. MJ ne s’est toujours concentré que sur son sport, son métier. L’ancien coéquipier de Scottie Pippen s’est d’ailleurs attiré les foudres de bon nombre d’afro-américains en 1990 quand il n’a pas voulu montrer son soutien à Harvey Gantt. Ce politicien démocrate était opposé pour une place au Sénat au républicain Jesse Helms, notamment connu pour des sorties racistes. A l’époque, Jordan avait déclaré «les républicains achètent aussi des sneakers». Une citation dont il s’est défendu dans « The Last Dance » en assurant que c’était de l’humour et qu’il n’a jamais été activiste, qu’il ne pensait qu’à mettre son énergie dans le sport.  

Contrairement à son modèle, LeBron James a toujours été très présent dans le social et la politique. « Au niveau de son exemplarité, LeBron est peut-être au-dessus. C’est un homme de famille exemplaire en dehors du terrain, toujours avec un bon discours politique vis-à-vis des pauvres et des personnes défavorisées, tout ce qu’il a fait pour sa ville d’Akron avec son école c’est fort. MJ est plutôt un businessman. Il est devenu plus exemplaire après sa carrière parce qu’il a osé prendre position contre Donald Trump, contre les violences policières. C’est tardif, mais c’est bien tandis que LeBron a toujours été impliqué à l’image de Bill Russell qui a marché aux côtés de Martin Luther King. LeBron a un repris le flambeau humaniste de Bill Russell et ça fait plaisir à voir », ajoute George Eddy. « Si on parle de communication par exemple, si Jordan avait les réseaux sociaux, je ne suis pas sûr qu’on ne parle de lui qu’en bien. LeBron fait d’actions pour sa communauté notamment avec « More than an athlete ». Il s’investit énormément pour sa ville. Je pense qu’en terme d’engagement Jordan n’a pas été au même niveau », confirme Mouss Cissé. 

(Photo : DR)

Là où les deux hommes se retrouvent une nouvelle fois c’est au cinéma. En 1996, Michael Jordan tient le premier rôle du film d’animation Space Jam où il joue avec Buggs Bunny et les Looney Tunes. Et 25 ans plus tard, c’est LeBron James qui sera la vedette de Space Jam 2 prévu pour 2021. Sans oublier que LeBron James a déjà aussi vu le documentaire « More than a game » sortir sur son épopée historique avec son lycée de Saint-Vincent-St. Mary.

George Eddy, qui a pu côtoyer les deux joueurs nous a confié que LeBron James est plus abordable que Michael Jordan, même si le journaliste franco-américain a pu passer des moments plus que privilégiés avec la légende des Bulls dont il a pu être proche dans les années 90. « C’est un type presque plus abordable que Jordan parce que Michael Jordan était tellement impressionnant que tout le monde avait peur de lui. LeBron James c’est le sourire, il aime bien discuter, un peu comme Kobe Bryant », dit-il. 

À la fin de la conversation, chacun aura toujours son avis sur la question et il ne sera vraisemblablement jamais possible de mettre un fin mot à ce débat interminable tant Jordan a permis au basket d’entrer dans une nouvelle dimension et a prouvé qu’il était le meilleur joueur du monde pendant toute sa carrière, tandis que LeBron James a lui aussi marqué le sport mondial en plus d’être un champion indéniable dans une NBA toujours plus aérienne, rapide et athlétique. Alors qui est le GOAT ? Sur Twitter, nous vous avons posé la question et le résultat est quasiment sans appel. Pour vous Michael Jordan l’emporte à 72,6%, même si vous estimez que LeBron James a réalisé de très grande chose, surtout en 2016, et qu’il est meilleur hors du terrain. 

Interrogé sur la question, Jordan ne s’est pas considéré comme le meilleur de tous les temps. « Jordan a dit que le meilleur de tous les temps est Bill Russell. Il a toujours dit ça parce que Russell a gagné onze titres en treize saisons avec un impact défensif et décisif à chaque fois. Comme Jordan était une force physique, mentale et technique, il appréciait beaucoup Bill Russell. Lebron, S’il dépasse Abdul-Jabbar et devient meilleur marqueur de l’histoire, s’il gagne quatre ou cinq titres dans sa carrière, c’est clair qu’il s’approchera de plus en plus de Jordan », conclue George Eddy. De son côté, LeBron James a confié se voir comme le meilleur joueur de tous les temps depuis les finales NBA 2016. Manque d’humilité ou simple réalité ?

Quoi qu’il en soit, savourons les quelques années qu’il reste à jouer à LeBron James et continuons de nous repasser en boucle les plus belles actions de Michael Jordan, deux joueurs qui ont atteint le sommet de leur art. 

 

Dylan De Abreu