Rares sont les rappeurs qui peuvent prétendre avoir autant marqué le rap que Rohff et Ninho. Mêlant succès populaire et critiques, les points communs entre les deux artistes sont nombreux, et Ninho semble aujourd’hui occuper la place qu’occupait Rohff dans le rap français des années 2000. Nous avons donc voulu nous demander si Ninho était bel et bien le digne successeur de Rohff.

Déjà, il faut le dire, nous parlons de deux poids lourds. Des artistes qui portent le rap français sur leurs épaules et qui parviennent à fédérer les foules. Au niveau des chiffres, c’est tout bonnement hallucinant. Chacun des quatre albums de Rohff sortis dans les années 2000 sont certifiés platine. « La Vie avant la mort » s’est écoulé à plus de 350 000 exemplaires. Le tout uniquement en physique, alors même que le piratage touchait de plein fouet le monde de la musique, et en particulier du rap à cette période. Du côté de Ninho, les chiffres sont là aussi colossaux. Ses mixtapes « M.I.L.S » sont toutes deux certifiés au minimum platine (M.I.L.S 3 s’est écoulée à plus de 57 000 exemplaires en 8 jours seulement !) et ses deux albums se sont écoulés chacun à plus de 400 000 exemplaires. Certes le streaming gonfle les chiffres, mais une telle performance reste à souligner. Ninho, comme Rohff auparavant, semble intouchable dans le paysage rap français. Comme dit l’adage, les hommes mentent, pas les chiffres. Ceux de Rohff et Ninho sont exceptionnels.

 

Logiquement, si autant de disques sont vendus (ou streamés), c’est que la fanbase des deux artistes est solide, mais également que leur musique parvient à toucher un public plus large. « Faire des hits populaires ça n’est pas donné à tout le monde », confirme Roc-J, le DJ attitré de Rohff qu’on retrouve tous les samedis de 22h à minuit sur Generations dans le Roc-J Radio Show. Mais contrairement à d’autres artistes ayant fait le choix d’un virage pop assumé pour toucher une plus large audience, Ninho et Rohff restent très attachés à la rue. Ils viennent des quartiers populaires, défavorisés, délaissés par l’État, et les disques de platine n’effacent pas le passé. Ainsi, comme le résume Genono, grand artisan du journalisme rap en France, « ce sont deux rappeurs populaires […] qui arrivent à garder un ancrage un peu street ». Les deux savent faire des tubes qui marchent en radio, à l’image de « Qui est l’exemple? » de Rohff en collaboration avec la chanteuse Kayliah, qui était diffusé sur NRJ à une époque où le rap était encore un style musical de niche.

 

 

« Reste vrai G, n’oublie pas que tu viens du ghetto »

Rohff est arrivé en France, plus précisément en Seine-Saint-Denis, à seulement 7 ans et en ne parlant pas un mot de français. Il a donc du apprendre la langue qu’il maniera plus tard avec brio. Rapidement il se tourne vers le rap, ses modèles sont américains (Tupac, Biggie, Dr. Dre…) et dès l’âge de 14 ans, il commence à rapper. Entouré de ses amis, notamment Mokobé, Rohff multiplie les apparitions et les freestyles au début des années 1990. Tant et si bien qu’il entre en contact avec d’autres rappeurs, notamment Manu Key et Kery James. Sous l’aile de ces derniers, et également entouré du tout jeune 113, il entre dans le grand bain en collaborant avec Ideal J sur leur premier projet, l’injustement méconnu O’riginal MC’s sur une mission. « Hardcore sont mes speechs parce que la vie est une bitch, pas question d’baisser mon froc, même si je rêve d’être riche ». Voilà comment Rohff s’introduit au public. En quelques mesures, il résume la façon de penser qui le suivra toute sa carrière durant. En résumé : toujours rester proche de la rue, toujours rester fidèle à ses convictions et se méfier des affres du show business. « Qui va dire qu’il est pas resté vrai ? Et je te dis ça parce que je connais l’humain aussi » abonde Roc-J.

 

 

Pour Ninho, l’histoire commence dans l’Essonne. Lui, contrairement à Rohff, n’a pas eu à se tourner vers les États-Unis pour trouver ses modèles. Ninho est un amoureux du rap français. Comme le souligne Squale, le fondateur du média REVRSE, « c’est évident que Rohff et Salif font partie des plus grosses influences de Ninho, pour ce qui est des placements techniques ou de la signature vocale notamment ». Ainsi, dès l’âge de 12 ans, Ninho commence à faire ses armes un peu partout entre l’Essonne et la Seine-et- Marne. Comme Rohff, il lui faudra quelques temps avant de se faire remarquer. C’est finalement DJ Quick, un poids lourd du DJing français qui, en premier, misera sur le jeune Ninho. Avec la mixtape « Ils sont pas au courant, vol. 1 » parue en 2014, celui qui n’est alors qu’un jeune rappeur prometteur met un premier pied dans le monde de la musique professionnelle. S’en suivront six mixtapes et deux albums qui ont fait de lui « un des plus gros rappeurs, commercialement, de la scène française actuellement » comme le résume Squale.

Ninho (Photo : Fifou)

 

L’étincelle qui allume le brasier

Les deux rappeurs ont connu un moment pivot dans leur carrière. Celui qui les a fait passer de MC respecté par le milieu du rap à véritable superstar, invitée sur les plateaux télé et dans les plus grandes radios. Pour Rohff, on pense tout de suite à La vie avant la mort, son chef-d’œuvre paru en 2001. Après son premier album « Le code de l’honneur », produit en indépendant et écoulé à plus de 100 000 exemplaires – disque d’or -, il signe chez Hostile Records. Le début d’une décennie de succès. En effet, entouré des meilleures équipes, Rohff écrase tout sur son passage. Au sein d’un label qui produit également Diam’s, Ärsenik ou encore IAM, c’est le rappeur du 94 qui attire toute la lumière. Le simple CD 2 titres de « Qui est l’exemple ? » s’écoule à plus de 800 000 exemplaires (!), « c’est incroyable, y a le CD 2 titres qui se vend énormément et ça passe sur NRJ » se remémore Raphaël Da Cruz, journaliste rap qu’on retrouve notamment sur Booska-P, Mouv et l’Abcdr du Son. Parallèlement au succès individuel – plus d’1,2 million d’albums vendus dans les années 2000 -, Rohff est un membre actif de la Mafia K’1 Fry qui aura un impact considérable sur la scène rap francophone. « Aujourd’hui c’est un cliché de faire un clip en bas de sa cité mais c’est tous les enfants de « Pour ceux » » sourit Roc-J.

 

 

Ce n’est pas un album qui va mettre Ninho dans la lumière. En effet, au milieu des années 2010, il faut composer avec Internet et les réseaux sociaux. C’est donc sur YouTube que Ninho va se faire connaitre du grand public, grâce à sa série de freestyles « Binks To Binks » amorcée en 2016. À l’heure d’écrire ces lignes, chacun des épisodes a été vu des millions de fois, « Binks To Binks Part. 2 » culminant même à 26 millions de vues. Le public bien chauffé, Ninho envoie sa mixtape « M.I.L.S » en octobre 2016. Des chiffres ahurissants, qui suscitent l’intérêt des médias de masse, notamment la radio qui commence à diffuser Ninho de manière bien plus récurrente. 

 

En même pas quatre ans, il est devenu l’un des plus gros vendeurs du rap français, en écoulant plus d’un million de disques. Son dernier album « Destin » devrait terminer disque de diamant dans les mois à venir et ses singles ont été streamés plusieurs millions de fois. Ninho est un poids lourd de la scène rap française et tout ce qu’il touche semble se transformer en or. Son armoire à certifications est remplie et une étude de Rapsodie montre que si Ninho est invité sur un son, celui-ci sera en moyenne 5,8 fois plus streamé que les autres. D’ailleurs pour Yerim Sar – l’une des figures de proue du journalisme rap en France -, Ninho est « l’homme aux 1000 featurings », comme Rohff l’était avant lui.

 

Rohff et Ninho, par des moyens différents – et propres à leur époque – sont donc parvenus à devenir les leaders d’une génération musicale et ils ont influencé à leur tour la génération suivante. Pour Rohff c’est évident, parce que sa carrière est déjà bien avancée et puisque Ninho fait justement partie de ses élèves, mais cela marche aussi pour N.I. « On a vu plein de petits Ninho pousser (et) représenter la rue, raconter ce quotidien de petit bicraveur qui veut une villa sur la Costa Brava » résume ainsi Raphaël Da Cruz. Devenir des figures de proue, voire même des modèles, voilà un autre point commun entre les deux rappeurs. Ils ne se glorifient pas de cela, mais pourtant ils sont parmi ceux qui ont, chacun à leur époque, le plus influencé le rap en France. « Ils n’ont pas la même vie, mais c’est normal on ne vit pas dans les quartiers de la même manière qu’on y vivait il y a 20 ans. Ça reste deux jeunes issus des quartiers populaires qui racontent les quartiers populaires » explique Roc-J. Deux étudiants du rap, devenus maîtres en la matière.

 

Pourtant, des différences

Il existe de nombreuses similitudes entre Rohff et Ninho, mais également plusieurs différences importantes. Musicalement déjà, pour Genono, « Rohff avait un côté un peu avant-gardiste dans ses choix de prods. ou ses influences qui revenaient des États-Unis […] et ça je le retrouve pas chez Ninho ». En effet, lorsque Rohff a décidé de collaborer avec des producteurs de renom venus tout droit de Californie pour son album « Le code de l’horreur » en 2008, c’était assez inattendu. Les instrus de ce type étaient alors passées de mode, et sans parvenir à en refaire une tendance, Rohff a au moins donné une exposition à un type de productions délaissées par le rap depuis quelques années. Sans changer qui il était ni renier ses convictions, Rohff a en effet toujours réussi à se réinventer. Et à – très – bien le faire. Comme le dit Yerim Sar, « là où Rohff a fait forte impression c’est qu’il avait les moyens de ramener des producteurs qui étaient au top aux États-Unis ». Il est vrai que Ninho a moins ce côté avant-gardiste. Si ce qu’il propose est d’une grande qualité et que son succès n’est plus à démontrer, il se démarque moins de ce qui se fait actuellement dans le rap en France. En même temps, l’intérêt de sortir de sa zone de confort aujourd’hui peut être remis en question. Ninho rencontrerait-il un tel succès s’il changeait son rap ? Rien n’est moins sûr. Comme le dit très justement Genono, « sa recette n’est pas compliquée mais elle marche terriblement bien ».

 

Rohff (Photo : DR)

L’environnement global dans lequel ils évoluent explique aussi d’autres différences entre les rappeurs. Ninho est en effet l’un des patrons d’une génération réellement dorée du rap français. Le rap n’est plus une musique d’initiés, donc « le public n’est plus le même, il est plus large, (Ninho) a plus de portes ouvertes que Rohff à l’époque » explique Squale. La musique n’est même plus consommée de la même manière, le streaming fait gonfler les chiffres même si, in fine, le rentabilité est bien moindre pour un disque de diamant en streaming que pour un disque de platine en physique. Le public s’est aussi ouvert, et c’est là une force de Ninho, qui séduit aussi bien le public traditionnel du rap qu’un nouveau public complètement déconnecté des problèmes de la banlieue. Pour Raphaël Da Cruz, Ninho est presque le seul à y parvenir. Par exemple, selon lui, « les gens qui écoutent Nekfeu peuvent écouter des mecs comme Ninho, mais l’inverse n’est pas forcément vrai ». Et ce alors même que « Les étoiles vagabondes : Expansion », le dernier projet de Nekfeu, est sur le point de devenir disque de diamant. Être validé par le grand public et par la rue n’est pas donné à tout le monde. Rohff a eu du mal à séduire le grand public, peut-être aussi parce qu’il était moins enclin à s’adapter à leurs codes, qui s’éloignaient trop de ses convictions.

 

 

La concurrence n’est également pas la même, et c’est peut-être ça la plus grande différence entre les deux rappeurs. Lorsque Rohff était au sommet, il ne partageait pratiquement pas la scène. On parle d’une époque où Booba était encore en prison, et où Diam’s et Sinik, géants de la vente d’album, proposaient un rap bien plus édulcoré. Dans son registre, et fort du soutien de la Mafia K’1 Fry, Rohff était donc le seul. Et même lorsque la concurrence est arrivée, c’était par l’intermédiaire d’un seul homme. « C’est difficile d’avoir le même niveau de popularité (que Rohff dans les années 2000) […] aujourd’hui y a une concurrence beaucoup plus exacerbée et nombreuse » souligne Genono. Les chiffres de Ninho, nous l’avons vu, sont exceptionnels. Mais voilà, de nombreux autres artistes ont des chiffres similaires. En plus de Nekfeu, qui obtiendra son troisième disque de diamant dans les semaines à venir, on retrouve « Booba, Jul, Ninho, PNL, Gims, Soprano, Orelsan… Y en a une dizaine qui cohabitent dans des eaux similaires » souffle Squale. Ninho doit donc composer avec une concurrence folle, construite sur le streaming et la profusion musicale de ces dernières années, alors que le hip hop devenait pour la première fois le style de musique le plus écouté au monde. Et Squale de conclure « tu peux pas comparer deux rappeurs (Rohff et Booba, ndlr.) qui ont dominé une décennie à plusieurs artistes qui se partagent une décennie ».

 

Alors, comparer Rohff et Ninho, c’est légitime ?

En bien des points, oui, Ninho est le digne successeur du Rohff des années 2000. Son affection pour les featurings, passant d’un hit estival comme « Elle est bonne sa mère » à une démonstration de kickage sur « Veux-tu » en compagnie de Lacrim n’est pas sans rappeler le chemin emprunté par Rohff, entre « Zone internationale » avec Roldan du groupe Orishas et « Nous contre eux » en compagnie du Rat Luciano et de Sat L’Artificier. Rohff comme Ninho sont également des hommes de défi. Les deux aiment défier leurs collègues sur les prods et poser le meilleur couplet. Celui de Ninho dans « Longue vie » avec Sofiane et Hornet la Frappe, est « une démonstration technique, il est complètement laid back, t’as l’impression qu’il se repose et du coup il découpe l’instru » dixit Yerim Sar. La prestation de Rohff, en réponse à Lino, sur « L’œil du tigre », est elle aussi un clinic. Face à un des meilleurs découpeurs d’instru du game, Rohff fait plus que de garder la tête haute, « il donne tout ce qu’il a, tu sens le côté positif de la compétition » résume Yerim Sar. À l’image de boxeurs, Rohff et Ninho veulent se confronter à ce qui se fait de mieux dans leur univers, toujours avec la volonté de démontrer que ce sont eux les meilleurs. Les deux sont également de grands aficionados des freestyles. Si ça semble logique pour Rohff, Ninho va un peu à contre-courant des tendances actuelles, qui privilégient le single clippé au freestyle radio…

 

 

Dans la recherche musicale, ils ont aussi des similitudes. Rohff a été très influencé par les musiques caribéennes, et ainsi on retrouve régulièrement des instrus ragga ou reggae sur ses albums ou – encore plus – sur ceux de la Mafia K’1 Fry. Du côté de Ninho, ce sont davantage ses origines congolaises qui se ressentent dans sa musique. N’hésitant pas à poser sur des instrus afrotrap, il a fait une déclaration d’amour à la République démocratique du Congo dans « À Kinshasa », en collaboration avec l’immense Fally Ipupa. Les deux artistes tirent donc des influences de scènes musicales moins en vue que les États-Unis. Si Rohff était – volontairement – plus présomptueux, ce qui « le plaçait en “cauchemar du rap français” » comme le souligne Genono et que Ninho semble moins clivant, les similitudes entre les deux artistes sont nombreuses. Leur amour des singles est un autre point commun important. À propos de cela, Yerim Sar confie que « si tu prends l’apogée de la carrière de Rohff, tu peux considérer que l’équivalent du Ninho actuel peut revendiquer une proximité avec ça ». Car les deux sont des machines à singles, et des machines à tubes. Quand Roc-J parle de Ninho, il dit que « pour moi c’est le n°10 du rap français maintenant et Rohff l’était dans les années 2000 ». À l’image d’un Lionel Messi avec Diego Maradona, Ninho s’est inspiré de Rohff pour devenir à son tour le meilleur dans son domaine.

 

 

Pour résumer, on pourrait dire que Rohff et Ninho sont avant tout deux étudiants du rap. Certains aspects de leurs vies sont similaires, et cela se retrouve dans leurs inspirations et dans leur façon d’être. Leurs caractères semblent diamétralement différents, et pourtant l’un comme l’autre a parfaitement compris les codes de son époque. Codes avec lesquels ils jouent pour s’assurer une place en haut de l’affiche. Des différences assez importantes existent, nous l’avons vu, mais pourtant on ne peut s’empêcher de voir une certaine filiation entre Ninho et Rohff. En 2017, ce dernier avait écarté l’idée d’une collaboration entre les deux. Pourtant, chacune des personnes qui nous avons interviewé semblait emballée à l’idée d’un morceau commun. « Je vois pas comment ça pourrait ne pas marcher ! » s’exclame même Genono. Ninho connait et respecte l’œuvre de Rohff comme en témoignent sa reprise de « Que pour les vrais » sur Skyrock. Leaders d’une génération, modèles pour la jeunesse et rappeurs incroyablement complets, Rohff et Ninho sont en bien des points similaires. Si la stratégie de comm’ de N.I. semble mieux travaillée que celle de Rohff, qui a toujours été plus impulsif, les similitudes sont bien là. Ninho est sans nul doute l’un des plus grands successeurs de Rohff, bien qu’il ai pioché chez d’autres rappeurs (Salif, Booba, Lino…) pour se construire sa propre personnalité musicale. Si Ninho était un diamant, Rohff en serait le tailleur.

 

Ce qu’en pensent les interviewés

Roc-J (DJ de Rohff): « Ce que j’aime beaucoup chez Ninho, sans parler des chiffres, moi c’est surtout la musique. C’est un mec qui sait se mettre en danger, s’adapter. Il peut poser avec Rim’K, avec Soprano, avec Leto, avec Yaro… C’est là où je vois le parallèle avec Rohff, qui pouvait très bien poser avec Le Rat et derrière aller sur un single avec KoolShen. Ninho peut poser avec Niro et faire un single avec Soprano, c’est là une de ses plus grandes forces. »

(Photo : DR)

 

Raphaël Da Cruz (Journaliste): « Ce sont des mecs qui aiment le rap, la performance, venir brûler les micros. Ils ont ce truc d’aller chercher les nouveaux flows, d’influencer les autres aussi. C’est-à-dire qu’avant dans le rap français les modèles de très bons rappeurs c’étaient des nonchalants (Ill, Dany Dan, Oxmo…) avec une voix posée. En gros il faut montrer que tu es fort sans montrer que tu mets des efforts à être fort. C’est ce qui est incroyable avec Rohff, parfois il est plus posé, il est hyper polyvalent. De la même manière Ninho si on regarde la deuxième moitié de la décennie 2010 il a influencé plein de gens dans ses placements de rimes, sa manière de construire les rimes, il fait rimer les consonnes c’est assez rare ça. On a tous vu plein de petits Ninho pousser, représenter la rue, raconter ce quotidien de petit bicraveur qui veut une villa sur la Costa Brava. Ninho le magnifie parce qu’il l’écrit peut-être mieux que les autres, il arrive à faire des morceaux qui cartonnent, c’est des morceaux crossover. Y a qu’à voir le succès qu’il a avec « Goutte d’eau ». C’est pas un morceau dansant et pourtant c’est un des morceaux les plus joués. »

(Photo : DR)

 

Squale (Journaliste): « Oui ça a du sens parce que je pense que c’est évident que Rohff et Salif font partie des plus grosses influences de Ninho. Pour ce qui est placements techniques, de la signature vocale… On peut les relier parce que Ninho fait partie d’une génération qui a été influencée par Rohff, il fait partie des quelques têtes d’affiche qui ont été influencées par Rohff. Maintenant je pense que Ninho n’a pas le même statut que Rohff des années 2000. Les choses ont trop évolué pour que ça puisse se passer de la même manière. Ça ne correspond pas à ce que Rohff avait à son époque. Peut-être que Ninho est plus consommé que Rohff à son époque, et si tu regardes les volumes Rohff parait juste plus gros parce que c’est du physique. Ninho, ses volumes sont gigantesques, après le public n’est plus le même il est plus large, il a plus de portes ouvertes que Rohff à l’époque. Il avait pas les mêmes opportunités de promotion via les réseaux sociaux. Rohff est passé à côté complètement, je trouve pas qu’ils soient vraiment comparables, ce sont deux têtes d’affiches de deux époques différentes. Ninho est moins affirmé aussi, il se livre moins dans sa musique, il a une personnalité moins prononcée. Rohff est une très forte personnalité, en bien comme en mal, Ninho c’est pas vraiment son cas. »

(Photo : lanouvelleonde.com)

 

Yerim Sar (Journaliste): « C’est toujours un peu casse gueule, vu que c’est deux générations différentes forcément en terme de style c’est un peu casse gueule. Si on parle de leur statut tu peux éventuellement leur trouver des points communs. Par rapport à Ninho, là où il a un truc semblable à Rohff c’est le côté “l’homme aux 1000 featurings”, mais avec le côté performer, c’est vraiment le mec qui vient pour épater la galerie. En terme de style c’est compliqué par contre. Deux époques différentes, des références différentes… par contre Ninho reste un amoureux du freestyle, ce qui est pas forcément le cas des rappeurs de sa génération. Quand il fait un freestyle sur une instru de Tupac il montre son amour de la face B du classique, de kicker sur les bonnes instrus US qui sont pas les instrus du moment il va vraiment chercher ce truc-là. Un autre rapprochement c’est le côté single, si tu prends l’apogée de la carrière de Rohff tu peux considérer que l’équivalent du Ninho actuel peut revendiquer une proximité avec ça. Là où c’est compliqué c’est qu’ils sont pas du tout seuls. Y a le côté rue aussi, Ninho même en mode single genre dans « Madre Mia » même quand il chantonne il garde un côté rough, street, pareil sur « Elle est bonne sa mère » avec Vegedream. La différence est peut-être plus du côté style (de rap, ndlr.). En terme de textes Rohff a des morceaux de 8 minutes ultra- introspectifs, Ninho est quand même beaucoup moins là-dessus. En même temps je pense pas qu’il ai envie de poser un texte de 10 minutes où il déballe sa vie intime, même s’il y fait allusion par moments. Mais Rohff c’était un degré d’introspection tout autre, le mec ouvre son cerveau devant toi et te dit de regarder. Y a aussi le côté de Rohff qui parle de la société, je le ressens pas chez Ninho, et puis Rohff était membre d’un gros collectif, pas Ninho. »

 

(Photo : Mouv’)

Genono (Journaliste) : « Dans le sens où ce sont deux rappeurs populaires qui plaisent à la jeune génération et qui arrivent à garder un ancrage un peu street, oui. Maintenant j’ai du mal à pousser la comparaison plus loin… Pour moi la grosse différence est dans le fait que Rohff avait un côté un peu avant-gardiste dans ses choix de prods. ou ses influences qui revenaient des États-Unis. Il dictait un peu la tendance, à aller chercher des trucs pas forcément populaires auprès du grand public. Genre 2007-08 il s’est mis en mode west coast alors que c’était pas du tout une tendance. Il avait un vrai côté avant-gardiste même parfois contre-tendance et ça je le retrouve pas chez Ninho. Son univers musical ça se démarque pas plus que ça sur la scène française, il ramène pas des influences que personne n’a. Ninho a ce côté presque fédérateur, pour moi c’est presque une différence avec Rohff. Lui il avait ce truc volontairement présomptueux qui le plaçait en « cauchemar du rap français », il était pas à part mais t’avais l’impression qu’il se mettait un peu en décalage. Alors que Ninho est en plein dans le tissu social du rap français, je sais pas si c’est une vraie différence. Aussi, Rohff s’est forgé en tant qu’auditeur en écoutant du rap américain, alors que Ninho est vraiment un enfant du rap français des années 2000 et dans les rappeurs qui ont émergé ces dernières années y en a beaucoup qui sont allés à la même école. »

(Photo : David Delaplace / Mouv’)

 

Les sons à écouter impérativement :

On a profité d’avoir un panel d’interviewés de grande qualité pour leur demander quels étaient selon eux les classiques absolus de Rohff et Ninho. Voici leurs réponses.

  • Roc-J : « 94 » de Rohff et « Binks To Binks Part. 6 » de Ninho
  • Raphaël Da Cruz : « Le Son c’est la guerre » de Rohff et « Roro » de Ninho
  • Squale : « Message à la racaille » de Rohff et « La vie qu’on mène » de Ninho
  • Genono : » Le Son c’est la guerre » de Rohff et « Longue vie » de Sofiane, Ninho & Hornet LaFrappe
  • Yerim Sar : « À bout portant » de Rohff et « Tokarev » de Ninho

 

Dorian Lacour