Issu de Mantes-la-Jolie, une ville plutôt discrète sur la carte du rap en France, où on peut citer Expression Direct, Niaks fait partie de ces artistes qui ont dès leurs débuts affichés une potentielle grosse force de frappe. Révélé avec des titres comme « Michel Cardon » ou « Drilluminati, Pt. 1 », le natif du 78 a su soigner son entrée dans le rap en signant deux magnifiques EPs biens accueillis par le public et la critique spécialisée.

Cover : Niaks – Mandat de dépôt (© David Delaplace)

Fort de formats courts réussis, Niaks a donc passé le cap du premier album avec « Mandat de dépôt ». Armé de 14 titres, ce premier long-métrage n’accueille aucune collaboration, rien de surprenant au vu de la discrétion affichée depuis ses débuts. Concernant la production, on retrouve un beau casting de beatmakers avec AchProdd, Baki, Chryziz Beats, Dorian Barreteau, Dosh, Geo On The Track, Narcos, Nells Prod, Saydiq, Suko Beats, Théo Hamel, Tony Scott Beats, Voluptyk, Wild MT et Younes Beats.

Demande aux bonvieux qui c’est la rue

En 2021, le public voyait naitre une nouvelle grande promesse du rap de rue. Dès son premier EP, « Commission rogatoire », Niaks affichait déjà une grande maîtrise de son univers crapuleux, très réaliste, et ce, avec originalité puisque ce projet se voyait parsemer d’interludes narratives qui nous embarquaient dans une traque mouvementée. Très appliqué dans ses démarches artistiques, l’EP suivant, « Comparution Immédiate », narrera la suite de ce jeu du gendarme et du voleur avec son arrestation qui le mène jusqu’à… son « Mandat de dépôt ». Clap de fin d’une trilogie rondement menée, cet album ne reprend pas le storytelling instauré sur les précédents projets, et malgré cela, le manque ne se fait pas ressentir.

En effet, ici les thèmes restent fidèles à son univers et peuvent à eux seuls suffire de trame narrative. Que cela concerne la drogue, l’argent, la violence, la vie en banlieue, les trahisons ou bien la prison (thème majeur que l’on retrouve dans chaque titre de ses projets), ces différents sujets sont abordés avec hargne et fougue et coulent de source de manière à ne jamais remettre en cause la véracité de ses propos.

Sur « Mandat de dépôt » la technique de Niaks monte d’un cran et cela se ressent sur de superbes performances de rap comme « Oussama », « Perm » ou « A10/E19 » qui lui permettent de servir les mordus de grosses ambiances criminelles.

« Plus vu les matons qu’mes parents / Dans mon enfance c’est paro / D1 quatrième étage j’ai peut-être tourné avec ton daron / Des connexions, des mecs qu’ont des contrats qu’en collectionne / Dehors c’est un grand hagar khlass demain il se mange une grande correction » (sur Oussama).

Si cette technique est mise en œuvre pour livrer un rendu plus pointu que certaines têtes de la rue francophone, elle est également maniée avec subtilité et originalité sur le bon « Donna » qui raconte la difficulté de la vie amoureuse entre fille bien mais « baladée » et mec rattrapé par les conséquences de ses actes :

« Elle a patienté toute ta peine elle est en fin de grossesse tout est bon […] Quand toutes ces années passées toute seule en vrai elle a pas supporté, Elle voyait le voisin d’à coté et de temps en temps il l’a sauté […] Tu khleh tu pètes un câble sous la folie tu prends ton calibre tu la canne ».

Par le biais de grosses démonstrations de rang comme « Le rap après les assises », « Manolo », « A las seis » ou « Tour d’la tess », Niaks a su rester fidèle à sa ligne conductrice en rappant dur et fort, mais surtout en ne tombant pas dans le piège de la facilité. Cette solidité est aussi dû à d’excellents choix de prods (souvent nuageuses et sombres), qui couplées à sa prestance et ses divers flows, amènent un rendu très cinématographique.

En pleine forme, le natif du 7.8 a déjà frappé très fort avec cette grosse poignée de titres rappés avec méchanceté, toutefois, il est allé encore un peu plus loin en s’ouvrant sur certains titres…

Dans ta soirée en Under Armour

Pour tout artiste, le premier album est une immense épreuve qui s’avère souvent périlleuse. Des tubes à tire-larigot pour rentabiliser d’office, un manque d’approfondissement par peur de perdre certains auditeurs difficiles, ou juste un énorme virage artistique qui dénature ses bases, nombreux sont ceux qui chutent dès la première marche en voulant trop s’ouvrir… Rassurez-vous, Niaks n’est ici pas tombé dans le piège. Bien épaulé par une équipe, Bylka Prod, qui a conscience des attentes des vrais auditeurs (et pas celles des faux D.A des réseaux-sociaux), le parisien a su trouver le juste milieu entre ouverture et préservation de sa force : le rap pur et cru.

Sur « Mandat de dépôt », et encore plus que sur les EP’s sortis auparavant, on retrouve un Niaks qui utilise beaucoup le chant, que ce soit sur les refrains, les couplets ou les ponts pour fluidifier l’ensemble. Habillement réalisés, ces morceaux plus ouverts comme « Mahmouma », « À la base » ou « Under Armour » s’apparentent en réalité à un excellent hybride entre rap et chant avec des flows chantonnés qui lui permettent de rapper tout en rendant la chose plus accessible. « BLVOLP » en est un très bon exemple puisque le flow nonchalant des couplets (toujours rappés) est couplé à une prod nocturne et exotique sur certaines notes.

Tout se joue sur des détails qui font une grande différence. L’outro, « Tour d’la tess » résume magnifiquement « Mandat de dépôt »… écrits crapuleux, flows imposants qui coulent, refrain entrainant et grosse prod riche en sonorités qui amènent un mix d’ambiances, tout son talent et sa force est ici condensé en 2 minutes 38.

Sur « Mahmouma » et « Under Armour », les deux tubes clairement assumés du projet, les sonorités très club et rythmées suffisent à elles seules à apercevoir une envie de toucher un public autre que celui qui consomme des titres comme « Maison d’arrêt » ou « CJD ». Biens faits, ces deux extraits n’affichent aucun sentiment de « rendu forcé »… c’est naturel. Si pour la plupart des gens ouverture rime avec type beat Jul, il existe une autre ouverture : l’introspection.

Sur « Mandat de dépôt », Niaks s’est un peu plus livré en abordant ses doutes et en faisant un point sur sa vie :

« J’aurais pas croisé la BP, je serais avec des hayawans à récupérer des hazis […] Maintenant y’a le son et j’vais peut-être vesqui la vie qu’on décrit dans « l’impasse » » (sur Le rap après les assises)

« J’ai même plus le goût de la vie j’ai encore perdu deux re-frés récemment » (sur Oussama).

Rap, chant, mélancolie, le kickeur du Val-Fourré s’est donc ouvert sans concession, et ça, ce n’est pas donné à tout le monde !

En somme, « Mandat de dépôt » est un beau premier album qui permet à Niaks de prouver plusieurs choses. La première est que son talent et sa marge de progression sont sans limites. La deuxième est que sa palette artistique s’agrandit de plus en plus, sans travestir son pilier qu’est le rap froid et incisif.

Le troisième et dernier point, sans doute le plus important, est que Niaks a tout pour s’imposer comme une tête d’affiche très solide. Dorénavant, le mandat de dépôt est derrière lui, maintenant place au succès !

Écouter « Mandat de dépôt » de Niaks sur toutes les plateformes de streaming.

Tancrède De-Sacco