Le 27 octobre 2023, ISK a sorti son nouvel album « L’Art de la guerre ». Un quatrième opus attendu et décisif pour la suite de sa carrière. Après quelques années dans la cour des grands, il est l’heure du bilan. Ce bilan, il le dresse au micro de Midi/Minuit dans un entretien sans filtre.

Journaliste (Youcef) : Dans un premier temps, tu as sorti « L’art de la guerre », ton quatrième projet, ton troisième album en carrière. À l’heure actuelle, dans quel état d’esprit te trouves-tu ? Que penses-tu des premiers retours, que ce soit en termes de chiffres ou encore de la critique du public ?

ISK : En réalité, le public devient plus exigeant après un certain nombre de projets. Il attend beaucoup plus de l’artiste. C’est ce que j’essayais de faire, tu vois. J’ai essayé d’être beaucoup plus pointilleux sur ce projet, d’aller plus loin, de lui donner une histoire qui s’accorde avec, c’est pourquoi nous l’avons appelé « L’art de la guerre », la pochette s’y rapporte. Ce que je raconte dans les chansons, chaque morceau s’inscrit dans « L’art de la guerre » à sa manière.

Cover : ISK – LDLG (© Fifou)

Donc, en réalité, je suis content des retours. Les gens ont apprécié les morceaux. Je reçois beaucoup de messages qui disent que j’ai diversifié mon style, que ce n’est pas redondant. C’est comme avant, mais remodelé.

Justement, peux-tu nous parler un peu plus du titre ainsi que de la pochette du projet ?

Nous avons choisi le titre avec Guilty et l’équipe de Katrinasquad. Il est inspiré du livre « L’art de la guerre » de Sun Tzu, que j’ai lu pendant la création du projet. C’est à partir de là que l’idée est née. J’aimais beaucoup le livre, ce qu’il racontait, la philosophie de l’auteur et sa manière de voir les choses, que j’ai trouvée très intelligente et instructive. La pochette présente un personnage qui tient le livre « L’art de la guerre », et en gros, c’est l’ancien moi à gauche qui se livre une bataille avec le nouveau moi à droite, un couteau entre eux, symbolisant la lutte contre moi-même.

En parlant du projet, quel a été le processus créatif de cet album ? Combien de temps as-tu mis pour le réaliser ? Comment as-tu choisi l’équipe qui t’entoure ? Tu parles de Katrinasquad, y a-t-il d’autres beatmakers impliqués ?

La création a commencé avec ma rencontre avec Guilty et l’équipe de Katrinasquad. Nous avons décidé de collaborer pour créer un album. Je me rendais à Toulouse, où ils travaillent. J’y ai passé de longs séjours, et environ 80 % de l’album a été créé là-bas. Quelques featurings et morceaux ont été réalisés à Paris, avec d’autres beatmakers avec lesquels j’avais déjà une bonne entente, comme 9TH, DJ Ritmin ou encore Boumidjal. 

Comment te positionnes-tu par rapport à la scène actuelle du rap ? Te considères-tu toujours comme un rookie ?

Non, en réalité, je ne me considère pas comme un rookie. J’ai sorti une mixtape et trois albums, ce qui est déjà beaucoup. Il y a des gros noms du rap qui n’ont pas sorti autant de projets, donc je ne peux pas me considérer comme un débutant.

C’est justement pour cela que je pose la question, et tu as bien fait de rebondir là-dessus. Tu as un statut particulier. Selon toi, de manière totalement subjective, qu’est-ce qui manque pour franchir un palier ? Tu as déjà accumulé des millions de vues, des collaborations avec des poids lourds du rap. Que manque-t-il pour briser ce fameux « plafond de verre » ?

Je pense qu’il manque LE morceau, celui qui te fait faire un grand pas en avant et te propulse dix marches plus haut en un coup. Après, il faut bien gérer la suite pour que même ceux qui n’écoutent pas de rap me connaissent. En réalité, ceux qui écoutent du rap, sans vouloir paraître prétentieux, je pense qu’ils me connaissent ou ont déjà entendu mon nom quelque part.

Parfait. En tout cas, tu as déjà franchi un cap, celui de vivre de ta musique, et tu en parles beaucoup sur le projet, parfois même comme d’un sauvetage. À quelle période la musique est-elle devenue réellement un métier pour toi, et quel a été le déclic ?

Cela fait déjà un certain temps que la musique est devenue un métier pour moi. Je n’en parlais pas autant avant parce que j’ai commencé à ouvrir un peu plus ma personnalité, que ce soit dans le projet ou même dans mes interviews. Depuis que j’ai signé mon premier contrat, j’ai compris que c’était un véritable travail, et j’ai décidé de m’investir pleinement pour réussir et persévérer.

Très bien. Il me semble qu’à l’heure actuelle, tu es totalement indépendant. Comment cela affecte-t-il ton quotidien, ton travail, la création musicale et la gestion de ta carrière ? Comment vois-tu le fait d’être indépendant ?

Tu as raison, nous sommes totalement indépendants. Pour résumer, être indépendant, c’est plus de travail, de responsabilité, et de personnes à gérer. Après, c’est bénéfique puisqu’on a plus de liberté. On s’écoute mutuellement, mon équipe et moi. On se fait confiance parce qu’on se connaît depuis longtemps. J’ai la même équipe depuis le début, depuis mon premier clip, et ça fonctionne bien. 

Tu parles de liberté, c’est bien vu, ça nous amène à un autre point. Ton dernier projet est sorti mi-2022, soit près d’un an et demi. La plupart des artistes et des labels sont soumis à la pression de la surconsommation, avec des albums qui sortent tous les vendredis, en quantité. Comment vois-tu cette surconsommation dans le rap, et comment y fais-tu face ?

En vrai, la surconsommation peut être bénéfique parce qu’elle incite à la productivité pour beaucoup. Personnellement, depuis 2020, çq fait 4 ans que je sors un projet à chaque fois. C’est une manière de répondre à la demande des auditeurs qui ont constamment besoin de nouvelles musiques.

En parlant de la surconsommation d’artistes qui sortent par dizaine, y a-t-il des pépites, des artistes que tu écoutes en ce moment et que tu as découverts dont tu aimerais parler ?

Oui, il y en a plusieurs. Il y a des artistes de chez moi, comme DRKO, qui a récemment sorti un EP et qui va envoyer du lourd. Il y a aussi KNF, un gars avec qui j’étais en groupe avant de me lancer en solo. En dehors de ma région, j’apprécie beaucoup La Plaie, Dinero, et Iss.

Parlons un peu des invités sur l’album. Dans un premier temps, il y a Ashe22. Comment s’est faite la connexion, as-tu une anecdote en studio à partager concernant la création du titre ?

Avec Ashe22, on se connaissait déjà, nous étions déjà en contact. En réalité, je n’ai pas d’anecdote particulière à raconter, car nous avons enregistré le morceau à distance. 

Très bien. Y a-t-il un morceau sur l’album qui a été particulièrement difficile à réaliser ?

Je ne dirais pas que c’était difficile à réaliser ou à écrire, mais le morceau avec Niro. Si on ne m’avait pas encouragé à faire ce style de musique, je ne l’aurais pas fait. J’en parlais avec Guilty, et je lui disais que j’appréciais énormément ce genre de musique, avec ce tempo. Après, je pensais que je n’étais pas capable de le faire. Il m’a répondu en me disant que je devais essayer, que je pouvais le faire. Alors, je l’ai écouté, et j’ai été surpris de moi-même, je ne pensais pas être capable de ça. 

Ensuite, on savait que ce serait un featuring, parce qu’on avait enregistré seulement le premier couplet et le refrain. Après, on a envoyé le morceau à Niro, et on s’est retrouvés en studio ou il a cramé ça. 

Sur le titre « Vie de Lossa », tu t’essaies au storytelling, que je trouve réussi. D’où t’est venue l’idée de créer ce titre ?

Une fois de plus, c’est le beatmaker qui a guidé ma créativité. C’était Anybeats. Quand je suis arrivé en studio, il m’a dit : « Il y a quelque chose qui pourrait te plaire. » Il m’a fait écouter une autre prod de 2step, et même si je trouvais ça un peu étrange au début, j’ai pensé que ça pouvait le faire. Nous avons créé la prod, et elle m’a évoqué une histoire. J’ai eu l’idée de raconter une histoire tout en restant dans le contexte de mon projet, avec le glaive et tout. 

Justement, il y a un deuxième storytelling sur le morceau avec Lyna Mahyem en bonus track. Comment avez-vous choisi la direction du morceau ?

En vrai, le morceau avec Lyna Mahyem était à l’origine une capsule, car c’était une collaboration avec Redbull. L’idée de la capsule était de créer un morceau sur un thème précis, et nous avons choisi de parler aux générations futures. Comme ça, elle parle à son petit frère, et moi, à ma petite sœur. Chacun de nous communique avec un être cher, ce qui est assez rare dans le rap, à mon avis. 

En parlant des thèmes et de la direction des morceaux, comment ton entourage, proche et moins proche, influence-t-il ta musique ? Écoutes-tu leurs conseils, ont-ils de l’importance pour toi ?

J’écoute beaucoup les conseils, et je fais écouter mes morceaux à mes amis quand nous sommes dans la voiture ensemble. J’essaie de prendre en compte ce qu’ils me disent, à condition que leurs avis soient constructifs et pertinents. Si quelqu’un n’aime pas un morceau, mais ne m’explique pas pourquoi, je ne peux rien faire (rires). 

Y a-t-il des collaborations que tu aurais aimé réaliser, mais que, pour diverses raisons, tu n’as pas encore pu concrétiser ?

Pas vraiment. Tout ce que je voulais inclure dans mes projets, toutes les collaborations que je souhaitais réaliser, je les ai concrétisées. Avec le temps, bien sûr, j’aurai envie de nouvelles envies, de travailler avec d’autres artistes, mais pour l’instant, pas vraiment.

Dernière question. Dans l’outro, tu dis : « Venez, on s’ment pas, on compte tous se barrer, j’kiffe la musique, mais je sais qu’on devra se séparer. » Jusqu’à quand te vois-tu rapper ?

Je ne suis pas vraiment sûr, je n’ai rien de précis en tête. J’espère ne pas rester dans le rap toute ma vie. J’espère passer à autre chose et arrêter au bon moment. Pour moi, le rap est une période de ma vie, une expérience qui a changé ma vie, mais ce n’est qu’une étape. Si je suis assez intelligent, j’espère passer à autre chose un jour. 

J’aimerais rebondir sur ta réponse précédente, c’est très intéressant. Penses-tu que tu te retireras du rap au sommet de ta carrière, pour ne pas faire l’album de trop, ou ça dépendra plutôt de raisons personnelles, religieuses, ou autres, qui te feront décider que le moment est venu de mettre fin à ta carrière ?

C’est davantage pour des raisons personnelles, religieuses et humaines que j’envisage cette décision. Après évidemment, éviter de faire l’album de trop, c’est important, comme l’exemple de Salif, qui s’est retiré au bon moment. Pour moi, ce sera principalement lié à des convictions et des raisons humaines. 

Écoute « LDLG » de ISK sur toutes les plateformes de streaming.

Interview : Youcef Benouada