Le 19 mars 2021, SCH a dévoilé la deuxième partie de la trilogie « JVLIVS ». Un an et demi après « Rooftop », et quelques mois après son couplet iconique sur « Bande organisée », il a définitivement changé de statut. Le succès commercial a été au rendez-vous, mais avec « JVLIVS II », c’est une ambition bien plus grande qu’un disque d’or en une semaine que le S avait : celle de graver son nom à jamais dans l’histoire du rap français.

Proposer un album qualifié d’intemporel est une des choses les plus complexes à faire pour un artiste, rappeur ou non. C’est presque une chimère. En 2018, avec « JVLIVS », SCH a décidé de s’attaquer à ce rêve de tout musicien, grâce une trilogie d’albums thématiques, centrés autour d’un personnage mafieux, amer et sans pitié, alter ego musical du S. Le premier volume a été un succès retentissant, certifié disque de platine, et salué par une immense majorité du public rap. Pour le Tome 2, l’attente était donc considérable. 

SCH JVLIVS Cover

Cover : SCH – JVLIVS (© Fifou)

Objectivement, le statut de SCH n’a jamais été réellement celui d’un rappeur de second rang. Dès « A7 » il s’est affirmé comme un artiste sur qui il faudrait compter, et même si ses projets suivants (« Deo Favente » et « Anarchie ») ont été davantage critiqués, sa place dans le rap en France n’a jamais été vraiment remise en question. Seulement, peu étaient nombreux, il y a encore un an, à penser que le rappeur originaire d’Aubagne pourrait acquérir un nouveau statut, et se rapprocher des moteurs du rap français que sont Ninho, Nekfeu, PNL ou Jul. C’est désormais chose faite. 

SCH a atteint son meilleur niveau (pour l’instant)

« JVLIVS II » est encore meilleur écouté d’une traite, comme un bloc, à la manière d’un film (rien n’est laissé au hasard). Les interludes, assurées par l’immense José Luccioni et écrites par Furax Barbarossa, donnent l’ambiance, et le cheminement intérieur du S au cours de l’album sonne comme évident. L’atmosphère pesante et sombre du Tome I persiste dans les premiers morceaux, mais progressivement le mafieux laisse entrer un peu de lumière dans sa vie, et dans sa musique.

Comme il le disait dans son interview du Code avec Mehdi Maïzi, l’objectif était d’amener « du soleil ». Peut-être est-ce un retour à Marseille, loin des terres siciliennes, qui est à l’origine de cette volonté. Si, pris individuellement, les morceaux sont tous de belles réussites, certains comme l’outro « Loup noir », gagnent à être écoutés dans le fil de l’album. D’un autre côté, des titres comme « Mode Akimbo », « Assoces » ou « Plus rien à se dire » auraient très bien pu faire de gros singles hors album.

La maitrise technique de SCH est impressionnante. Il faut dire qu’avec lui, les mauvais couplets peuvent se compter sur les doigts d’une main. Sa voix si reconnaissable, moins diabolique que par le passé, n’en reste pas moins envoutante. Ses placements, toujours millimétrés, sont parfois surprenants, comme dans « Mannschaft ». Les assonances parsèment les couplets, pour que la forme sublime le fond du propos. Les nombreuses variations de flows, dans des morceaux comme « Crack » ou « Grand bain » par exemple, chassent toute monotonie, chose rare dans un projet qui dure presque une heure. 

Même si les thématiques abordées (trafic de drogue, armes, grosses voitures, habits de luxe…) sont la moelle épinière de la discographie du S depuis ses débuts, elles ne paraissent pas redondantes. Il maitrise sa recette sur le bout des doigts. 

Pour revenir au fond, en réalité, toute cette violence que l’artiste nous envoie au visage ne sont qu’un apparat. Elle relève presque de l’acting, SCH étant dans son personnage, créé de toutes pièces. Le véritable propos de Julien Schwarzer transparait en filigrane, presque caché par les punchlines pleine d’attitude de Julius. 

Au final, « JVLIVS II » raconte les peurs et les peines d’un homme. La peur de la solitude, de l’abandon, de la perte des êtres chers, et notamment de sa mère, mais aussi le souvenir, indélébile, de son père. Le résultat, c’est un gangster torturé, qui cache sa tristesse sous une carapace de violence, brillant dans l’interprétation.

SCH JVLIVS II Cover

Cover : SCH – JVLIVS II (© Fifou)

Une plongée dans l’univers de ses invités qui ne dénature pas l’album

Assez paradoxalement, les featurings amènent leur univers, dans lequel SCH entre, et pas l’inverse. Sur « Mannschaft », Freeze Corleone fait ce qu’il sait faire de mieux : découper une prod. Sans changer sa recette, il envoie un couplet incandescent, juste après un passage remarquable du S. On notera même une référence bienvenue à Zuukou Mayzie (« Flow interdit, j’ai v’là d’palettes, s/o Zuukou mais y a pas que des arbalètes »). 

Pour Jul, le pari était risqué. Dans un album qui se veut aussi sombre que « JVLIVS II », beaucoup ont eu du mal à comprendre ce feat. Même si le morceau « Mode Akimbo » détone du reste de l’album, sur une prod de Zeg P et dans des tons beaucoup plus chauds, il n’en reste pas moins un véritable banger. Les deux artistes s’entendent à merveille, et leur relation transparait dans le morceau, qui est bien parti pour être l’un des plus gros hits du projet. 

Les heureux détenteurs de la version physique ont également pu écouter « Fantôme », dans lequel, en plus de Jul, est invité Le Rat Luciano, l’un des modèles de SCH. 

La plus grande question pour « JVLIVS II » est de savoir si oui ou non SCH a réussi le défi de proposer un album intemporel. Évidement, il est bien trop tôt pour se prononcer là-dessus, mais il y a fort à parier que l’objectif sera atteint. Le propos n’est pas borné chronologiquement et les beatmakers (BBP, Twenty9, SLK, Chady, Stef Becker, HoodStar ou encore Meryl) ont redoublé d’inventivité, pour que leurs prods restent le plus longtemps possibles dans l’ère du temps. 

On pardonnera à Jul sa référence au COVID qui ancre le projet au début des années 2020. Cet album est pensé pour bien vieillir, et son succès commercial ne fera que renforcer ce sentiment chez les auditeurs.

La France entière a écouté « JVLIVS II », littéralement

L’avenir nous dira si « JVLIVS II » est intemporel, mais une chose est sûre, SCH a gravé à jamais son nom dans l’histoire du rap français, et dans la mémoire du public. De « Champs-Élysées » à « Loup noir », en passant par « Otto », « Allô maman », « Prêt à partir » ou « Bande organisée », le S est devenu en quelques années une tête d’affiche du rap en France. Son disque d’or en quatre jours et ses 63 851 ventes en première semaine en témoignent. 

Il faut se rappeler que « JVLIVS » s’était écoulé à 27 647 exemplaires en une semaine. L’écart est impressionnant. Dans le même ordre d’idée, 45 565 des 63 851 ventes de « JVLIVS II » ont été faites en streaming. Cela représente plus de 68 millions de streams, ce qui en fait l’album le plus streamé en une semaine en France, devant « Trône » de Booba, qui avait été streamé plus de 61 millions de fois en 7 jours, en 2017 (avant la réforme du stream).

Il s’agit du neuvième meilleur démarrage depuis 2013, dépassé seulement par PNL, Orelsan, Gims et… Jul. Encore plus fort, il s’agit du plus gros démarrage depuis 2019, et le raz-de-marée « Deux frères » (qui s’était écoulé à plus de 113 000 exemplaires en une semaine). 

Mais puisque les chiffres lancés comme ça sont durs à interpréter, on va vous donner une statistique : si l’intégralité des Français (67 millions de personnes) avait streamé un seul morceau du projet, le nombre de streams en première semaine serait moindre… C’est assez bluffant.

Sans véritable single porteur, ce qui est le propre de tous les albums thématiques (on pense à « TRINITY » de Laylow), de tels chiffres sont presque aberrants. C’est mieux que Ninho, Aya Nakamura ou Soprano, les trois autres superstars de Rec. 118. 

Avec « JVLIVS II », SCH a fait un grand pas dans sa quête de l’éternité et de l’intemporalité. Même si les chiffres de ventes en première semaine ne veulent évidement pas tout dire, ils sont un bon indicateur de la place qu’occupera un album quelques années après sa sortie. 

En attendant d’avoir assez de recul, profitons de cet album maitrisé de A à Z, sans fausse note, et qui démontre toute la palette artistique du S. On pourra se demander si « JVLIVS II » est un classique dans quelques années, quand la trilogie sera terminée. Rappelons-nous qu’on ne juge ici qu’une partie d’une œuvre plus grande, plus magistrale, une œuvre qui, elle, a tout pour devenir intemporelle, J.V.L.I.V.S.

Écouter l’album « JVLIVS II » sur toutes les plateformes de streaming.

Dorian Lacour