Laylow a dévoilé son deuxième album, « L’Étrange Histoire de Mr. Anderson », le 16 juillet 2021. À l’heure où de nombreux projets ressemblent à des playlists, le rappeur originaire de la région toulousaine a pris le contre-pied de la tendance en offrant un album-concept, digne du cinéma. On vous prévient tout de suite, cette chronique peut contenir des spoilers. 

« L’Étrange Histoire de Mr. Anderson » est un pari. Le rap français est aujourd’hui plus prolifique et diversifié que jamais. Chaque vendredi, des dizaines de projets dans lesquels les influences peuvent aller de Travis Scott à Enrico Macias sont livrés aux auditeurs. Les albums-concepts sont un peu les grands oubliés de cette profusion de sorties hebdomadaires. On peut le comprendre, tant l’exercice est compliqué.

Laylow

Cover : Laylow – L’Étrange Histoire de Mr. Anderson

Plus ou moins tous les rappeurs de France sont capables de faire un morceau storytelling sans trop de peine. Pour ce qui est d’un album entier, force est de constater que la liste se raccourcit drastiquement. Avec sa dernière sortie, Laylow a donc tenté un pari. 

Pari réussi ?

L’album démarre avec le morceau « Un rêve étrange ». Pas réellement de storytelling ici, simplement deux refrains et un bref couplet, dans lesquels Laylow mêle volonté de réussite (« avant tout, frère, j’veux être libre, faire du biff ») et egotrip (« j’vois tout plein d’copies s’dupliquer, j’dois toujours rester au-dessus »), sur une prod rayonnante de Loubensky.

C’est à la fin du titre que les choses sérieuses commencent, l’instrumentale se crispe et perd toute gaité, jusqu’à ce qu’intervienne pour la première fois Mr. Anderson, qui envoie un « Bonsoir mon vieil ami ! » suivi d’un rire glaçant. Dès l’intro du projet, les bases sont posées : on ne sait pas si l’histoire qui est en train de nous être racontée est un rêve ou une réalité. Le bruit de réveil au début du premier interlude alimente encore cette idée. 

En à peine deux minutes de musique, l’univers de l’album se dessine, et les deux personnages clés – Mr. Anderson et Jey/Laylow – sont introduits. Les 18 morceaux suivants racontent l’histoire trouble de ces deux individus. La complexité de leur relation est parfaitement décrite, et celui que Laylow considérait à la base comme un ennemi s’avère au final n’être pas si mauvais. Dans le même temps, ceux qui étaient un temps des amis ne montrent aucun soutien au rappeur, le contraignant à s’éloigner d’eux.

Le court-métrage mis en ligne il y a quelques semaines et intitulé « L’Étrange Histoire de Mr. Anderson, le Film » permet de lever les éventuelles zones d’ombres laissées par l’album. En substance, Jey et Mr. Anderson sont deux facettes d’une seule et même personne. Cette dualité est théâtralisée à l’extrême, dans un album qui peut sembler être plus proche de « Fight Club » que de « Get Rich or Die Tryin’ ». 

L’amour du rap est bien là

S’il peut sembler être un véritable OVNI dans le paysage rap de 2021, « L’Étrange Histoire de Mr. Anderson » est un album d’amoureux du rap. En plus de la persévérance de Laylow, tout au long du projet, qui donne l’impression de ne jamais lâcher malgré toutes ses déceptions (« Mais t’sais quoi ? Un jour ça s’ra mon son qui passera dans ton club »), le projet regorge de clins d’œil au rap. 

L’hommage le plus évident est fait à 50 Cent, grâce aux morceaux « Window Shopper Part. 1 » et « Window Shopper Part. 2 » dans lesquels on retrouve Hamza. L’ambiance du hit du rappeur du Queens est complètement respectée, même si le discours de Laylow et d’Hamza n’est – logiquement – pas le même.

Alors que le « Window Shopper » de Fifty dépeint le rêve éveillé d’un rappeur déjà dans l’opulence, ceux du duo franco-belge sont en fait le récit de fantasmes de ce mode de vie. On comprend, dans les couplets de Laylow notamment, que la vie de 50 Cent est encore un rêve pour lui.

Sur le morceau « Lost Forest », qui dénonce le racisme ordinaire des forces de l’ordre, notamment vis-à-vis des jeunes issus de l’immigration, c’est le classique « Fuck tha Police » de N.W.A qui est samplé.

L’excellent « Spécial » en featuring avec Nekfeu et Fousheé serait un clin d’œil – ou plutôt une interpolation, si l’on en croit Genius – au morceau « DRAM Sings Special », présent sur l’album « Coloring Book » de Chance the Rapper, mais dans lequel c’est Shelley FKA DRAM qui rappe. De subtiles références qui montrent l’amour indéfectible de Laylow pour cet art. 

« Et t’es dur avec toi, ça j’espère qu’tu l’resteras jusqu’à la fin d’l’histoire »

Dans l’ensemble, « L’Étrange Histoire de Mr. Anderson » est un pari réussi. La direction artistique de Laylow est très bien rodée, et rien n’est laissé au hasard. En plus de Fousheé, Hamza et Nekfeu, le reste du casting de l’album est lui aussi alléchant. Les incontournables Alpha Wann et Wit. sont présents sur le single « Stuntmen », révélé au public il y a quelques semaines. Mis au cœur du projet, ce morceau qui peut ne sembler être qu’une démonstration technique prend une réelle profondeur, et sert de relance au storytelling de l’album.

Damso arrive pour découper sur le banger « R9R-Line », avec des punchlines bien senties qui transpirent l’egotrip (« Pas d’concerts avant longtemps (ah oui ?), les artistes à chicha commencent à paniquer, gros » / « J’fais plus d’argent que celui qu’on gagne au Loto »). Enfin, le britannique Slowthai ajoute de la mélancolie au désespoir de Laylow dans « Fallen Angels », pour un morceau coup de poing en fin d’album.

Du côté des beatmakers, on retrouve également des noms ronflants. Easy Dew, Sofiane Pamart, Ikaz Boi, Dioscures, Ponko, Binks Beats ou encore Prinzly apportent, entre autres, leur pierre à l’édifice. Avec une telle équipe et de tels invités, vous conviendrez qu’il est difficile de sortir un mauvais album. Ça tombe bien, « L’Étrange Histoire de Mr. Anderson » est un très bon album.

Sa construction, avec les nombreux interludes et les phases parlées pendant les morceaux, peut jouer en sa défaveur. Forcément, il est difficile de piocher un titre et de l’ajouter à sa playlist sans dénaturer l’œuvre globale. C’est un parti pris audacieux, qui semble porter ses fruits, puisque 34 446 copies du projet ont été vendues en une semaine. Il s’agit du meilleur démarrage en carrière de Laylow, et du troisième meilleur de l’année, derrière « JVLIVS II » de SCH (63 851 ventes) et « ULTRA » de Booba (39 118 ventes). 

Laylow

Crédit photo : Thibaut Grevet

De tels chiffres seuls ne veulent pas dire grand chose, mais ils démontrent la place que Laylow occupe aujourd’hui dans le rap en France. Il est devenu le rappeur qu’il rêve d’être durant tout son projet, un rappeur que plus personne ne peut ignorer, tant il est important.

Après l’explosion « Trinity », certifié disque d’or en novembre dernier, l’ascension de Laylow se poursuit. Son identité visuelle et – surtout – sonore est plus que jamais affirmée, et il semble maintenant clair que peu de personnes dans le rap français se permettent de tenter autant de choses que lui. Lancé vers les sommets, il y a fort à parier que Laylow, Jey et/ou Mr. Anderson continueront à nous raconter leur histoire pendant encore de longues années. Même si elle… étrange. 

Écouter « L’Étrange Histoire de Mr. Anderson » sur toutes les plateformes de streaming.

Dorian Lacour