Depuis son lancement en 2005, YouTube s’est imposé comme le premier canal de diffusion de vidéos sur Internet. Logiquement, le rap y a très vite trouvé sa place. Avec le temps, des chaînes spécialisées hip hop ont vu le jour. Nous avons voulu nous pencher sur ces personnes qui ont fait de leur chaîne YouTube un média rap.

Pour réussir sur YouTube, il est essentiel de comprendre les codes de la plateforme. Deux éléments sont primordiaux : les formats et la communauté. Comme le résume Joss, « il faut des formats forts, parce que YouTube c’est une communauté que tu guides vers tes concepts ». Celui qui a révolutionné les interviews rap avec l’Open Space – depuis arrêté – sait de quoi il parle. « Des fois je réfléchis à faire une seconde chaîne volontairement nulle, pour l’argent » constate RAP ETC., avec un peu de dépit. Vous l’aurez compris, les formats qui marchent ne sont pas si compliqués que ça à trouver et ils garantissent un succès. Pourtant, même s’ils admettent cette réalité, aucun des vidéastes que nous avons interrogés ne se restreint à un format volontairement simple qui attirerait à coup sûr le clic. L’important pour eux est de fidéliser une communauté, et de proposer un contenu qui leur plait. YouTube permet aussi de mettre en lumière des sujets plus spécifiques, « je ne pensais pas monter à presque 100 000 abonnés juste avec ce thème […], mais l’humain est curieux, donc forcément ça marche et on peut jouer de ça » résume ainsi ScalSquale, qui a fait le choix de se concentrer sur PNL et l’univers QLF.

 

 

La grande force de YouTube est de proposer une variété de contenus exceptionnelle. Ce que la télévision n’offre pas, on le retrouve sur le petit écran. Olivier Pillot, co-réalisateur (avec Laura Millienne) du web-documentaire « L’argot sous un garrot – la face cachée de l’œuvre de Booba », diffusé exclusivement sur YouTube témoigne de cela. « On a essayé de contacter Netflix, on a contacté Arte, Trace aussi […], au final c’est sans regret parce qu’on aurait fait 20 000 vues et on aurait été très contents, là c’est 500 000 ! » s’enthousiasme-t-il. Celui qui n’est pas complètement plongé dans l’univers YouTube amène un regard extérieur, et s’émerveille de l’efficacité de la plateforme. Un tel documentaire, de près de 50 minutes, et qui rappelle réellement un format TV, n’aurait sans doute pas rencontré le même écho s’il avait été diffusé sur une chaine de télé quelconque. YouTube a réellement permis à ce projet, amorcé en 2015 et qui a nécessité « au moins 6 mois (de travail) à temps plein », de trouver son audience. Les partages de Booba et de son équipe sur les réseaux sociaux ont aussi donné de la visibilité. Cela n’aurait peut-être pas été possible si le documentaire avait été diffusé sur Arte par exemple.

 

Avant tout, des mordus de rap

YouTube est un moyen pour n’importe quelle personne dotée d’une bonne connexion de partager sa passion avec d’autres. La volonté de partage et ce qui ressort le plus. « J’ai remarqué que je parlais à 80% du temps de rap avec mes potes, à chaque fois ils venaient me voir pour avoir mon avis, je me suis dit que j’avais une petite légitimité, donc j’ai eu un déclic » témoigne Boombarap. « Avant j’avais mon petit compte Twitter à moi et des fois je donnais des avis sur le rap, mais à un moment j’ai eu envie, pas forcément de porter ma voix, mais j’me suis dit pourquoi pas partager ça avec plus de gens ? » abonde RAP ETC. Les raisons qui poussent chacun à se lancer sur YouTube sont multiples, mais le partage est réellement ce qui ressort le plus. De l’avis de RAP ETC., il est en plus assez simple de se faire une petite communauté (sans bien sûr parler du million d’abonnés !). « Commencer à se créer un petite commu’ à 10 ou 15 000 abonnés ça peut aller très vite, si t’es intelligent et que tu es capable de faire une vidéo virale tu peux faire 100 000 abonnés en un mois » dit-il, très lucide.

 

 

Ce qui est également essentiel pour parler de rap, c’est d’en être un passionné. Chacun a sa propre histoire avec le hip hop. Joss a baigné dans le rap depuis enfant, par l’intermédiaire de son père qui « écoutait beaucoup de IAM, MC Solaar, Oxmo Puccino, le Secteur Ä ». Depuis, il n’a jamais décroché. Même son de cloche chez ScalSquale. « C’est mon père qui m’a fait écouter du rap, j’ai grandis sur ses classiques : Assassin, NTM, IAM, Sniper, […] je connais tout par coeur de A à Z » dit-il. D’autres, s’y sont mis par eux-mêmes, leur entourage n’étant pas forcément attiré par le rap. Pour Boombarap, c’est réellement « le trio Booba – Rohff – La Fouine » qui l’a plongé dans le hip hop, « vers 2007 ». RAP ETC. raconte qu’il écoute du rap depuis enfant mais qu’un événement particulier l’a fait s’y plonger. En vacances dans un pays étranger, sans Internet, il n’avait qu’un téléphone avec une carte SD remplie d’environ 200 titres de rap, « et dedans y avait Le jugement de Tandem […] j’ai du l’écouter 500 fois en un mois ! ». Lorsqu’il a découvert que « Le jugement » était en fait la dernière partie d’une trilogie (composée de « Frères ennemis » et « Un jour comme un autre »), il est, selon ses propres dires « devenu un malade mental du rap ». Dans tous les cas, aucun ne déroge à la règle. Pour parler de rap, il faut aimer le rap. Sur YouTube comme ailleurs.

Les défauts de YouTube

Bien sûr, YouTube n’est pas tout rose, et la plateforme présente plusieurs défauts. Déjà, il s’avère compliqué d’en vivre, surtout lorsqu’on parle de rap, ce qui implique de relayer des extraits sonores ou vidéos des artistes. Ceux qui détiennent les droits démonétisent alors directement les vidéos. Face à d’immenses labels, les YouTubers ne pèsent pas lourd. Joss regrette les changements récents sur la plateforme, « avant tu pouvais mettre 15 secondes de morceau, je suis pour que tu ne puisses ne pas exploiter le travail d’un autre, mais là même pour une seconde ta vidéo est bloquée… » dit-il, assez amer. Beaucoup se sont résignés. « Dès le début je savais que ça allait être démonétisé, je me suis lancé en connaissance de cause » explique Boombarap alors que RAP ETC., qui a du mal avec les plateformes de financement participatif (Tipeee, Patreon…), a « accepté le fait que c’était du bénévolat ». Olivier Pillot relativise, il s’est servi de son activité professionnelle – il est à la tête d’une société de production – pour financer le documentaire sur Booba. « On ne gagne pas d’argent parce que YouTube bloque quand tu mets des musiques et des clips. Mais pour 500 000 vues on aurait gagné quelque chose comme 500€ donc ça n’aurait pas financé le projet de toute manière » dit-il.

 

 

Les vidéastes sont aussi confrontés au problème de la censure. Une double censure plus exactement, à la fois – comme nous l’avons vu – de la part de YouTube qui empêche d’utiliser des images ou sons qui ne sont pas libres de droit, mais aussi une auto-censure vis-à-vis de sa communauté. Là dessus, les avis divergent, mais la plupart des YouTubers interrogés ne se sentent pas réellement restreints par leur public. « Tu as une grosse liberté d’opinion je trouve » constate ScalSquale. Avis partagé par RAP ETC. qui se sent « libre vis-à-vis de (s)es abonnés, ne (s)’auto-censure pas ». Ils semblent néanmoins tous s’imposer une règle tacite : ne pas parler de ce qu’ils n’ont pas aimé, pour ne pas descendre publiquement un artiste. « On me dit “t’es toujours positif” mais les gens ont jamais capté que […] mon énergie je ne la dépense pas dans du négatif, je sais que c’est ce que les gens veulent, mais si un truc ne m’a pas plu je ne cherche pas la confrontation » explique Joss. Même constat pour Boombarap, « je me sens libre […], la seule barrière que je me pose c’est celle du respect, sur YouTube c’est facile de tirer sur quelqu’un ». Critiquer oui, mais toujours dans le respect.

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Youtube a remplacé la télé et la radio (?)

Une autre chose est certaine. Aujourd’hui, YouTube est devenue plus qu’une simple plateforme de diffusion de clips. Les artistes pensent leur communication par rapport à YouTube et tous les médias rap (Booska-P, Grünt, Yard, RapÉlite, Check…) y ont développé une chaîne. Bien que le marché du rap soit énorme, cela créé forcément de la concurrence pour les YouTubers hip hop. Pourtant, ceux-ci ne semblent pas trop s’en soucier. « Je pense que c’est une bonne concurrence, tu regardes ce qui se fait autour […], il y a déjà un petit cercle de Youtubers rap, on se regarde tous, on se parle tous en privé » témoigne ScalSquale. « On parle tous de notre art qui est le rap, plus on en parle plus ça donne de l’exposition, plus ça donne de la force, […] on se connait tous, on est des potes, y a pas de concurrence, ou si elle existe c’est positif » ajoute Joss. RAP ETC. ouvre en revanche une nouvelle piste de réflexion. Pour lui, « il y a une concurrence, on est beaucoup à faire des choses relativement identiques, pour moi, Le Règlement ou Amin & Hugo, on prend tous du temps à ceux qui aiment le rap, on est dans le même marché ». Le risque serait donc d’inonder l’audience de contenu et de la faire se détacher de certains. Mais il conclut sur une touche positive, « c’est pas un milieu où la concurrence nique le truc, au contraire elle met les meilleurs en haut du panier ».

 

 

YouTube reste un formidable terrain d’expression, qui permet de démocratiser le rap. C’est d’ailleurs la démarche d’Olivier Pillot, qui raconte que « quand tu parles de musique avec des gens qui ne sont pas de ce milieu, on dit qu’on écoute Booba et ça crée un froid, pour eux il faut écouter Abd al Malik ou MC Solaar, ils arrivent à voir le côté poétique chez d’autres artistes mais pas chez Booba ». Le YouTube rap francophone semble au final assez soudé, même si les premières écoutes divisent, mais en dehors de cela les médias traditionnels et les YouTubers cohabitent en harmonie. Justement, ces chaines YouTube spécialisées dans le rap sont-elles les nouveaux médias ? En général, ceux à qui nous avons posé la question ne se considèrent pas comme tels, sûrement par humilité, « à l’heure actuelle, non, je ne me considère pas du tout comme un média » répond ScalSquale. Même s’il reconnait que techniquement sa chaine est un média, RAP ETC. ajoute qu’« au fond de moi je ne me considère pas comme ça, je ne suis pas une ligne édito, j’ai pas de sponsors ou de publicitaires, (je suis) juste un humain qui donne son avis ». Toujours est-il que ce sont aujourd’hui eux qui font vivre le rap sur YouTube, plus que jamais ils ont un rôle à jouer, et la frontière entre le monde de la musique et YouTube s’amenuise. Nous y reviendrons dans la deuxième partie de ce dossier, consacrée aux YouTubers devenus rappeurs…

 

Dorian Lacour