Une chose ne quitte jamais l’esprit de Doria : sa détermination. Originaire de Nanterre, elle s’est fait petit à petit un nom dans la scène rap francophone, par des punchlines incisives et des refrains entêtants. À l’occasion de la sortie de son premier album, « Depuis le départ », elle a pris du temps pour discuter avec nous.

Midi/Minuit : Salut Doria. Tu sors ton premier album, « Depuis le départ », ce vendredi 25 juin. Dans quelle mentalité tu es, au moment de le dévoiler au public ? 

Doria : En vrai, j’ai hâte et je suis un peu stressée. C’est pas du mauvais stress, c’est plus de la hâte que de la pression. Je suis pressée que les gens voient ce que j’ai fait. J’ai un peu peur, c’est normal, mais j’y vais. Dans tous les cas, il fallait y aller, je vais pas faire marche arrière.

Doria - Depuis le départ

Cover : Doria – Depuis le départ

Midi/Minuit : Tu es, à ma connaissance, l’une des rappeuses les plus validées par ses ainés, de Booba à Jul. Est-ce-que ça te rajoute une pression ? 

Doria : Pas une pression, mais je me dis que rien n’est jamais acquis, que je peux flopper sur un son que je pourrais croire lourd. Je me dis jamais « untel m’a validé donc c’est acquis. » Je partage ce que j’ai envie que le public ressente, et ça me pousse à continuer. Être validée par des tauliers, c’est lourd, mais il faut que je continue, que je mette la barre un peu plus haut à chaque fois, pour que les gens continuent à kiffer ce que je propose. En vrai, c’est ce que je réponds tout le temps, mais le plus important pour moi c’est l’avis du public. Avant toute chose, c’est les gens qui ont partagé mes morceaux, qui ont reposté, qui ont poussé ce truc au max.

Midi/Minuit : Je voulais parler de ton rap, qui parfois tend complètement vers le chant. Je pense au morceau « Donne-moi la main » qui est un bel exemple de tout ce que tu es capable de faire. J’imagine que tu es aussi à l’aise dans les deux, mais entre le rap et le chant, qu’est-ce-que tu préfères ? 

Doria : En vrai, ça dépend. Tout dépend de mon mood sur le moment tu vois. Dans la vie de tous les jours, j’ai plutôt tendance à chanter, je vais plus écouter du chant que du rap. J’aime tout autant les deux je pense. Le chant c’est ce qui m’a attiré vers la musique, donc j’adore, mais j’aime énormément le rap. Dans des morceaux comme « Goodbye », où on s’attend à ce que ce soit très love, je préfère aller dans du rap mélodieux. Je trouvais ça important aussi de laisser mes covers chantées sur mon Insta, de montrer aux gens que j’aime le chant, pour ne pas les perdre. 

Midi/Minuit : Justement, dans ton public, j’imagine que les gens préfèrent quand tu rappes ? 

Doria : Pas du tout en fait. J’ai posté la cover d’ »If I Ain’t Got You » d’Alicia Keys sur Instagram, les gens m’ont dit que c’était incroyable. Mon public aime tout autant le rap que le chant, comme moi, j’en suis vraiment contente. J’aurais pu chanter et me faire descendre, mais pas du tout, les retours sont positifs, les gens aiment. 

Doria

Midi/Minuit : Tu as signé chez AWA l’an dernier. Quels ont été les apports du label ?

Doria : Ça parait bête, mais déjà le fait d’avoir un label ça change tout. Pour moi, c’était important d’être entourée, mais pas de n’importe qui, donc j’ai pris mon temps pour choisir. Pour la petite anecdote, Nasser de chez AWA m’avait repérée il y a un petit moment, et je lui avais dit « t’inquiète frérot je gère ! » Quatre ans plus tard, je me retrouve signée chez eux. J’avais envie de trouver une équipe qui puisse me suivre dans mes envies et mes folies musicales. Je suis très ouverte, je cherchais tout le temps des beatmakers sur Insta ou YouTube.

Avec le label c’est plus simple, t’as tout : le matos, les gens hyper doués, les prods incroyables. Je pense être assez complète pour boucler un son de A à Z, mais pour tout ce qu’il y a à côté de la musique, j’en avais besoin. C’est un apport de fou, matériel mais aussi intellectuel. La première séance studio, j’étais pas encore signée, je suis arrivée là-bas en mode touriste. Kore me sort une prod, c’était trop frère, c’était incroyable. Au début j’étais un peu timide, mais au fur et à mesure de la séance, ça se débloque. Kore me fait repérer des notes sur la prod, le courant passe très bien. Je me suis dit « ok, je veux rester ici », et depuis notre relation se passe très très bien.

Midi/Minuit : Je voulais aussi m’attarder sur le morceau « 96 », avec ce refrain où tu dis que personne ne croyait en toi. Est-ce-que tu pourrais m’en dire plus ? À qui est-ce-qu’il s’adresse ce refrain ? 

Doria : Je m’adresse aux personnes qui, au départ, me voyaient faire de la musique et me disaient « c’est cool t’as un hobby. » Moi j’étais là, en mode, la musique c’est pas juste une passion, c’est mon métier. Ce refrain s’adresse à eux, et aussi aux gens qui n’ont pas cru que je pouvais rapper. Au départ je faisais des maquettes, pas à la hauteur des sons actuels, et en les écoutant plusieurs personnes ont tiqué et m’ont dit de rester dans le chant. C’est pour eux aussi. 

Midi/Minuit : Je pense aussi à ta phase sur le COVID. Comment tu l’as vécu, d’être coupée dans ton élan par la pandémie ? 

Doria : Je l’ai assez mal vécu au début. Le premier confinement a été compliqué pour moi, surtout les deux premières semaines. Après, je suis allée acheter un home studio, et j’ai appris. J’ai téléchargé Pro Tools, j’ai maté des tutos, je me suis nourrie. Il fallait que j’avance, alors je me suis débrouillée toute seule. J’enregistrais les morceaux chez moi, je faisais écouter à Kore et Nasser. Au début, le COVID, ça m’a découragé, mais assez vite au contraire ça m’a encouragé à faire encore mieux.

Midi/Minuit : Dans ton morceau « Granita », le premier couplet s’oppose au deuxième, en changeant de point de vue dans le storytelling. C’était quoi ton ambition avec ce morceau, qui sonne quand même très festif ? 

Doria : En fait, pour ce morceau-là, je voulais un titre club ambiancé, mais pas dans la house, l’electro ou un type Jul. J’avais envie d’un truc à l’ancienne, donc logiquement on a fait de la funk. Je voulais qu’on s’ambiance, mais en même temps que ça raconte quelque chose. Combien de fois on l’a vu en soirée ce que je raconte dans le morceau ? On les compte même plus. J’avais besoin d’un son festif mais qui raconte un truc, qu’on s’ambiance sans raconter de la merde.

Midi/Minuit : Parle-moi du morceau « Douleur », il est très intime. Ça ne te fait pas peur, de te livrer autant à ton public ?

Doria : Je pense que c’est important de se livrer, mais il y a des sujets sur lesquels tu peux te livrer en étant plus subtile. Dans « Douleur » il y a plein de sujets desquels j’étais obligée de parler, parce qu’ils font partie de moi et de ma vie. Dans ce projet, j’étais obligée de raconter mes échecs, mon parcours, tout ce qui m’a touché dans ma vie. Le message que je transmets, il peut toucher tellement de femmes. Je pense que c’est important, d’avoir des vrais messages dans ma musique, de parler des choses qui m’ont touchée et dont personne ne parlait. En vrai, y avait que Diam’s qui le faisait.

Midi/Minuit : Tu termines l’album avec « Pas ma faute », et son refrain magnifique. C’était une évidence de conclure là-dessus ?

Doria : Non, en fait, pas du tout. « Pas ma faute » c’est un de mes tracks préférés. Rien que la première phrase : « Si j’prends la parole, j’prend le risque qu’on me la ferme » Cette phrase résume une carrière, peu importe dans quel domaine, le cinéma, l’art, ou ailleurs. Pour moi, clôturer avec ce morceau, c’est dire je ne suis pas là pour me faire des ennemis. Je suis là pour vivre de ma passion, et profiter du temps qui m’est donné.  

Doria

Midi/Minuit : Tu n’as pas pour habitude de multiplier les featurings, et d’ailleurs il n’y en a aucun sur ce projet. Pourquoi avoir fait ce choix ? 

Doria : J’ai choisi de ne pas mettre mes feats maintenant en fait. Il y aura une deuxième partie à « Depuis le départ », avec tous les featurings que j’ai enregistré. Depuis le départ je suis seule en fait. J’ai pas changé, je suis restée sur la même ligne directrice. J’avais envie que les gens kiffent mon projet, pas parce qu’il y a un nom à-côté, mais d’abord pour mon univers personnel. Je pense que c’est plus intelligent comme ça, je préfère que les gens kiffent comme ça. Ensuite j’enverrai mes feats, il faut que ce soit naturel.

Midi/Minuit : Tu viens de Nanterre, qui est toujours restée dans l’ombre d’autres villes plus dynamiques mais qui est en plein développement, avec des gars comme Brvmsoo ou LMB. Quel œil tu portes sur cette scène ?

Doria : LMB sera sur la deuxième partie du projet d’ailleurs. Il y a une dynamique de fou ici ! En vrai, moi je l’ai senti, j’ai fait un titre avec tous les mecs de chez moi, le son est incroyable. Les gens commencent à se motiver à Nanterre, ils donnent de la force. C’est ça le problème des quartiers, c’est que les gens qui te donnent de la force, ils viennent de l’extérieur. Les choses sont en train de changer, c’est vraiment positif. 

Midi/Minuit : J’ai l’impression, aujourd’hui plus que jamais, qu’une nouvelle génération de rappeuses dont tu fais partie vient remuer un peu le rap macho. Comment est-ce-que tu perçois cela, en tant qu’artiste et en tant que femme ? 

Doria : Je ne peux que les encourager, je suis contente qu’il y ai de plus en plus de meufs dans le rap. Perso, j’ai toujours écouté énormément de femmes rappeuses, mais aux États-Unis, parce que là-bas ils ont plus de facilités à laisser chanter des femmes qu’ici. Pour ce qui est de cette nouvelle génération, évidemment je les encourage. Le rap c’est pas un milieu de mecs, c’est un milieu de talent. Même un mec qui a du talent, s’il travaille pas, il fera rien dans la musique. Il faut taffer, y a rien qui est acquis, que tu sois une meuf ou un gars.

Midi/Minuit : Pour conclure, qu’est-ce-que tu veux offrir au public avec cet album ? 

Doria : Je veux leur offrir l’occasion de découvrir ma personne, ma musique. Je veux que les gens kiffent, qu’ils écoutent mon projet en balle, et qu’ils viennent en concerts. J’aime trop chanter avec les gens, j’ai hâte que ça reprenne !

Écouter « Depuis le départ » sur toutes les plateformes de streaming.

Dorian Lacour