Le rap dans les Bouches-du-Rhône se résume bien souvent – et assez logiquement – à Marseille. Même s’il est affilié à la citée phocéenne, Kamikaz est originaire de Barriol, un quartier du sud-ouest d’Arles. Depuis une dizaine d’années, le rappeur s’efforce de mettre sa ville sur la carte du rap en France, en gardant toujours son authenticité. Avec « Sofiane », il livre un album ancré dans sa réalité. Chronique.

En 2017, Kamikaz envoyait son album « L’outsider », et rencontrait un petit succès, notamment avec les morceaux « El Pistolero » ou « Destin » en featuring avec Malaa, son compère de toujours. Le titre de ce projet résume assez bien le personnage.

Ce n’est pas lui manquer de respect que de dire qu’à l’heure actuelle, Kami n’est pas encore une tête d’affiche. Pourtant, dans le 13, il a su au fil des années devenir une figure incontournable. Sa musique a mûri, ses flows se sont aiguisés, et ses nombreuses collaborations ont fait revenir son nom dans les oreilles des auditeurs, sans pour autant qu’il ne devienne une superstar comme ses collègues Jul, Alonzo ou encore SCH. 

Kamikaz Photo : Camulojames

Ce parcours sinueux peut être à l’origine de cette rage indissociable du rap de Kamikaz. Dans « Sofiane », son dernier projet, sorti le 11 juin 2021, cette fureur est dépeinte à merveille dès l’intro « Kami Gang » où, pour reprendre ses mots, le rappeur arrive « comme une grosse bastos dans le barillet ».

Désormais disque de platine avec le projet « 13 Organisé » et à la tête de son propre label, Treize point deux, il pourrait se dire que le plus dur est fait. Il n’en est rien. Au contraire même, Kamikaz maintient pendant les 54 minutes de son album une tension et une frénésie, qui démontrent qu’il est – au moins selon lui – encore loin du but.

« Sofiane » décline son identité

Kamikaz maitrise complètement son rap, qui garde une sonorité typique des rappeurs des Bouches-du-Rhône, mais qui se détourne de la voie du succès tracée par Naps ou Jul pour proposer un rap plus cru, plus dur, mais qui tombe terriblement juste. Des morceaux comme « Piraterie », produit par Napalm Beats, ou « M3alem » et ses assonances chirurgicales sur une prod assez sobre de Millionarts, sont de parfaits exemples du rap de Kamikaz. Il étale son art, sans faire de concessions, avec une certaine froideur, dans les beats et les flows.

Kamikaz Sofiane Cover

Cover : Kamikaz – Sofiane

Entre egotrip assumé : « J’pense à faire un empire comme les Byzantins / On va toujours d’l’avant, on tombe on s’relève / C’est chacun pour son cul poto marche ou crève / Fracasser des prods pour nous c’est naturel » dans « Piraterie »…

Punchlines qui décrochent un sourire : « La bastos traverse les pecs, même si t’es plein de stéroïdes / Que des coups d’pute, ça vient par derrière comme des hémorroïdes » dans « Dans le Gamos »)

Et petites piques à l’industrie : « Ouais t’as percé mais rappelle-moi t’as sucé qui ? / Ça donne son cul j’vois des rappeurs avec des strings / Hamdoullah j’gagne bien ma vie mais pas de quoi acheter des streams » dans « ADN »)… 

L’écriture de Kamikaz est ultra-efficace. Celle-ci laisse transparaitre une sensation presque dichotomique, entre quiétude affichée et détresse permanente. 

Se mettre au défi, grâce aux featurings

Dans les morceaux solos de son album, Kamikaz joue en terrain conquis. Les beatmakers (Almess, Kompo, JAYSx15, Darkplug, Univers Sound & Bigste On The Track…) le mettent dans les meilleures conditions possibles. Il y a un peu de drill, un peu de trap, des accords froids et des refrains enlevés qui permettent à l’autotune de faire son entrée.

Nier l’efficacité de ce rap n’aurait pas de sens, mais si vous voulez découvrir une autre facette du rappeur, ce sont ses featurings qu’il faut écouter. Lorsqu’il invite un ou plusieurs autres artistes sur un morceau, Kamikaz va boxer dans leur cour et livre des morceaux réellement détonants, qui cassent toute monotonie lors de l’écoute de l’album.

Sur « Marseille Malaga », Kamikaz emprunte la recette qu’Alonzo perfectionne depuis quelques années, à la fois dansante et trap, et dont « Capo Dei Capi Vol. II & III » sont de parfaits exemples.

Avec Brulux, sur « Opinel 12 », produit par AtlasProd, une rythmique club baigne les flows autotunés des deux rappeurs.

La connexion avec Jul sonne comme une évidence, et le morceau « Je veux » – produit par le J lui-même – est efficace, sans pour autant être surprenant.

C’est tout l’inverse dans « Menotte », sur lequel est invité AM La Scampia, et qui détone complètement du reste du projet, grâce aux mélodies solaires de l’incontournable Stef Becker.

L’un des morceaux les plus marquants de « Sofiane » est sûrement « Trabajo ». Kamikaz invite la sensation barcelonaise Morad. Pas de bouffée d’air, pas de topline mélodieuse, on se retrouve face à un découpage en règle. Le morceau rajoute à la tension latente de l’album, qui se veut le plus concret possible. Pas besoin d’être bilingue pour comprendre la rage du MC catalan, et le couplet de Kami enfonce le clou dans cette démonstration de kickage sudiste.

Le morceau chorale « Chez Nous », en plus d’avoir un petit air de « 13 Organisé », est une belle réussite. Zbig, Malaa et Elams sont d’une impressionnante justesse, Thabiti est sublime et confirme son statut de rookie marseillais à surveiller de près. Ce featuring pétillant, qui arrive assez tard dans le projet, redonne un dernier coup de boost avant une outro intimiste et touchante, intitulée « Gamberge ». 

Tout vient du 13 

Les Bouches-du-Rhône regorgent de talent, et dans l’ombre des icônes marseillaises de nombreux rappeurs aux dents longues font monter le niveau global. Kamikaz est l’un d’eux. En une décennie de carrière, il a pu constater l’évolution de sa scène locale. Il aurait pu, sans grande peine, attendrir sa musique, la rendre plus grand public, la faire entrer dans les codes du mainstream, mais il a décidé de rester vrai et honnête vis-à-vis de ses auditeurs.

Aujourd’hui, et « Sofiane » en est un bel exemple, Kami a trouvé sa voie dans la musique. Une voie dont il s’autorise à sortir à l’occasion de featurings qui sont toujours une belle plus-value.

À Arles, et même à Marseille, Kamikaz est devenu une figure du paysage hip-hop. Sa conquête du reste de la France prend place, petit à petit, sans jamais dévier ni travestir sa musique. « Sofiane » n’est pas un album léger. C’est, au fond, un album assez grave, qui se laisse de temps à autre emporter par une fièvre mélodieuse, pour se conclure dans une brume mélancolique.

Dans le flux de sorties hebdomadaires, Kami parvient à se faire une place, avec un projet sincère, sans compromis, et réellement plaisant à écouter. « Ça fait longtime qu’on a l’habitude d’escalader des montagnes » dit-il dans le morceau « Opinel 12 ». Le sommet n’a jamais semblé aussi proche.

Écouter « Sofiane » sur toutes les plateformes de streaming.

Dorian Lacour