Véritable centre de formation, Sevran est aujourd’hui une place forte du rap en France. Ce statut, la ville du 93 l’a acquis, en grande partie, grâce à Kaaris et son désormais classique « Or Noir » (2013). À la suite de cet album Kaaris aura mis en avant de nombreux artistes comme 13 Block, XV Barbar mais surtout Kalash Criminel avec qu’il entretient une relation privilégiée. De ce fait, un album commun avait alors à l’époque été très attendu. Peu à peu oublié, ce dernier a finalement vu le jour ce vendredi 28 janvier 2022.

Cover : Kaaris & Kalash Criminel – SVR

Annoncé le 2 décembre 2021, et promotionné avec les titres « Tchalla » et « Tu dois des sous », « SVR » aura su se faire attendre. Composé de 15 titres, « SVR » n’accueille qu’une collaboration en la personne de Freeze Corleone. En ce qui concerne la production on pourra retrouver un gros casting avec pas moins de 22 beatmakers qui sont 4093, 999biggie, Arty, Bass Tuner, Boumidjal, Congo Bill, Flem, Grand Prêtre, HoloMobb, Kable Beatz, Mi8, Noxious, RODILEX, Ruffsound, Seezy, Stan-E Music, T-Desco, Therapy 2093, Trill Mango, Twang Beats, TWT Beats et Yahmanny.

Un duo incontournable

En 2016 Kaaris et Kalash Criminel publiaient leur première collaboration : « Arrêt du cœur ». Véritable coup de tonnerre, cette agression, qui comptabilise pour l’heure 63 millions de vues sur YouTube, venait choquer un grand nombre d’auditeurs et est aujourd’hui encore présente dans la tête de beaucoup. Sombre et violent, ce titre exposait à merveille l’univers des deux sevranais qui se ressemblent mais qui possèdent quelques détails personnels qui ne font pas d’eux de simples clones.

En effet même s’ils partagent des flows méchants, des écrits hardcore, voir gores, et des sonorités énergiques et obscures, Kaaris semble lui axé sur l’egotrip et la désobligeance tandis que Kalash Criminel ajoute à sa violence un coté conscient et politisé. Armé d’un socle artistique commun très solide, car maitrisé comme personne, cette paire ne peut alors que dégager une forte alchimie avec chacun qui amène sa petite touche personnelle.

Grandement mise en valeur avec des titres violents et sombres, cette fusion se voit être le cœur même de « SVR » qui possède un grand nombre d’ambiances de ce genre. Effectivement, sur les 15 titres du projet on peut en retrouver 10 sur lesquels l’ivoirien et le congolais déversent leur haine à l’aide de punchlines assassines et brutales « La vie est déjà courte, j’peux encore t’la raccourcir, C’est facile de tuer, le plus dur, c’est de trouver un alibi », de références pointues et guerrières « Et si j’enfile les gants, c’est pas pour l’esthétique, on aime tout c’qu’est violent, le football britannique » et de sonorités costaudes et pesantes.

Parmi cette dizaine de morceaux on compte « Les Abysses » qui possède une instrumentale métallique et oppressante qui nous emmène dans les profondeurs, « Fiché S » qui a tout d’un coup de pression dans une ruelle mal éclairée, « Angle Mort » qui, entrecoupé par des dialogues cinématographiques, affiche une grosse puissance avec un flow effréné ou « C’est nous les O.G », l’intro, qui démarre les hostilités de la meilleure des manières.

Minutieusement réalisés, ces différents titres intègrent parfaitement les éléments propres à chacun avec des passe-passe, des backs de l’un lorsque l’autre rap ou des ad-libs connus de tous comme « Sauvage », « Pute » ou « Gang ».

Désormais plus à prouver, cette complicité, qui se manifeste notamment avec la présence de nombreux couplets partagés, est à son apogée sur « SVR » et est d’autant plus intéressante lorsque l’on se penche sur le bien nommé « Apocalypse », la collaboration avec Freeze Corleone.

Sur cette dernière les trois artistes lient à merveille leurs univers et fusionnent pour ne former qu’un. Démoniaque et furtif, « Apocalypse » accueille de la part de Kaaris et Kalash Criminel des références au fantastique (Tesseract), aux dictateurs (Xi Jinping) et à la religion (Dajjal)… que des éléments qui constituent la base artistique de l’héritier du Ghetto Fabulous Gang. De son coté Freeze Corleone adopte un flow frénétique, plus qu’à son habitude, et s’intègre parfaitement sur le refrain.

Au sein de cette masse sombre et violente qui fait déjà à elle seule de « SVR » un projet réussi, on peut noter la présence de morceaux comme « Tchalla » ou « King Von », certes toujours très hard, mais plus diversifiés dans leurs sonorités (piano, guitare) avec des refrains autotunés, entêtants ou plus mélancoliques. Au-delà de leurs grandes qualités ces deux titres mettent en avant une réelle volonté de la part du duo à se diversifier et à sortir de sa zone de confort démoniaque et violente pour ne pas s’engluer dans un projet uniforme et répétitif.

Une éclaircie au milieu de l’orage

Cette zone de confort obscure et crue, Kaaris et Kalash Criminel l’ont déjà quitté lors de leurs précédents projets solos. En effet Kaaris a réussi après « Double Fuck » à proposer des tubes ultra populaires comme « Tchoin » ou « Diarabi » et Kalash Criminel a su lui s’ouvrir en s’affichant aux cotés d’artistes comme Jul (« Je ne comprends pas » et « Cagoulé ») ou Keblack (« Mélanger »).

Aussi, les deux sevranais ont déjà proposés en duo un titre très ensoleillé, le bien connu « Bling Bling » (avec Sofiane). Grande réussite, ce dernier a surtout montré que les deux compères et leur alchimie étaient capables d’aller, ensemble, au-delà de simples titres hardcores et violents et ce sont justement ces genres de prises de risques que nous attendions sur « SVR ».

Certes en infériorités numériques, mais bien présentes, ces ouvertures montrent une paire tout-terrain qui peut livrer des performances mélancoliques aux refrains autotunés comme « Sur le banc », des titres chantés et estivaux comme « Shooter » et « Barillet » ou bien très club comme « BBL ».

Énergique et dansant, « BBL » a clairement le potentiel pour s’immiscer au sein des soirées cet été.

Tous parfaitement calibrés et idéalement repartis au sein du projet, ces différents morceaux n’altèrent pas leurs univers et n’apparaissent pas comme « des tubes pour faire des tubes ».

Attendu par les fans de Kaaris et Kalash Criminel, et plus largement par les auditeurs de rap français, « SVR » ne nous aura pas déçu, bien au contraire !

Complet et varié sans toutefois travestir l’univers des sevranais, cet album est une véritable réussite qui a su confirmer une grande complémentarité assez rare au sein de la scène rap française. En bref, « SVR » est déjà sans conteste un des projets marquants de l’année 2022.

Écouter « SVR » de Kaaris & Kalash Criminel sur toutes les plateformes de streaming.

Tancrède De-Sacco